Intérêt de la Méditation de Pleine conscience en Kinésithérapie dans le cadre de la prise en charge de la douleur chronique
Auteur | Rubrique de cours | Relecteur | Responsable |
Pierre Perdriat
Axelle Mokry |
Moyens Thérapeutiques | Jacky Harnoist | Jan-Hendrik Maitre |
Introduction
Développée dans les années 1970 par le biologiste américain John Kabat Zinn, cette pratique, d’inspiration bouddhiste, a été intégrée de manière laïque dans le monde médical (1).
Le Mindfulness Based Stress Reduction (MBSR) est le principal programme étudié en recherche clinique. De nombreux programmes ont depuis vu le jour en fonction des indications de soin comme le MBCT (Mindfulness Based Cognitive Therapy) pour la prise en charge de la rechute dépressive, ou encore le MBRP (Mindfulness Based Relapse Prevention) pour la prévention des rechutes des addictions.
Définition
La pleine conscience (Mindfulness) est un entrainement actif de l’esprit. Cette pratique consiste à focaliser intentionnellement notre attention sur ce que nous pouvons percevoir dans l’instant présent comme :
- Les sensations corporelles qu’elles soient agréables, désagréables ou neutres (La respiration, les stimuli visuelles et auditifs, les points d’appuis…).
- Les émotions (Joie, peur, colère, tristesse, dégout etc…)
- Les pensées ou images mentales (Ruminations, questionnements, planifications, réflexions, souvenirs, etc…)
Cette attention de pleine conscience est une attention bienveillante, accueillant ce qui est présent avec curiosité, sans jugement (ni bien/ ni mal) ni attente (sans chercher à maitriser, à contrôler etc…)(2).
3 grandes méthodes pour une pratique
Il existe trois principales catégories de pratiques dans la Mindfulness (3):
- La méditation par attention focalisée consiste à entrainer son attention à se fixer sur un objet, qu’il soit tangible (ex une bougie, ou la respiration) ou subjectif (nos pensées, nos émotions).
Cette pratique se décompose en 4 étapes : repérage du vagabondage de l’esprit, prise de conscience de la distraction, réorientation de l’attention et maintien de la concentration. Elle sollicite de nombreuses régions du cerveau comme le cortex cingulaire antérieur et postérieur, l’insula antérieure, et le cortex préfrontal dorso latéral (3).
- La méditation de Pleine conscience consiste à ouvrir son attention sans jugement sur le moment présent à tous les phénomènes sensoriels, cognitifs et émotionnels qui le constituent.
Lors de cette pratique, on observe chez les méditants expérimentés une diminution de l’activité dans les aires cérébrales liées à l’anxiété comme le cortex insulaire et l’amygdale.
- La méditation de la compassion de l’altruisme et de l’impartialité est la dernière forme de pratique, elle cultive nos sentiments d’amour et de bienveillance (4).
Applications de la méditation
Afin d’évaluer de manière plus objective les états de la conscience et le fonctionnement du cerveau lors de la pratique de la Mindfulness les neuroscientifiques confrontent les expériences subjectives des méditants expérimentés aux observations objectives décrites par l’imagerie cérébrale (5).
Les premières études sont très encourageantes concernant la prise en charge (6):
de l’addiction au tabac (7), à l’alcool, aux opiacés (8), des troubles du sommeil chronique (9), des troubles anxieux (10), des maladies inflammatoires (11), de la prise en charge de la douleur chronique (12), de la rechute dépressive (13), du vieillissement (14).
Une pratique régulière de la pleine conscience pourrait même sur le long terme contribuer à un ralentissement de l’horloge épigénétique et représenterait ainsi une stratégie de prévention des maladies chroniques liées à l’âge (15).
Intérêt dans la prise en charge de la douleur
Lors d’une expérience douloureuse de nombreuses régions du cerveau entrent en activité (Neurosignature de la douleur). Ces zones cérébrales sont dépendantes d’entrées sensori-discriminatives, cognitives, et affectives (16).
En prenant conscience de ses sensations corporelles, de ses émotions et de ses pensées le patient perçoit avec plus de lucidité les facteurs influençant la production de douleur et les comportements qui en résultent (catastrophisme, évitement, etc…).
La méditation permettrait ainsi de développer des capacités de méta conscience (ou conscience des phénomènes cognitifs et émotionnels) en agissant notamment sur l’insula et le cortex cingulaire postérieur (berceau de la méta-cognition) (17).
En observant la sensation douloureuse sans chercher à l’interpréter, la rejeter ou l’ignorer, l’activité dans les aires cérébrales liées à l’anxiété est moins importante. La douleur reste aussi intense chez les méditants mais les perturbe moins que les membres d’un groupe témoin (18).
Il semblerait que ce soit cet effet spécifique de la pleine conscience (nommé décentration en thérapie cognitive) qui permettrait aux patients dépressifs chroniques d’éviter la rechute, en repérant précocement les schémas mentaux perturbateurs (comme les ruminations) (19). En prenant conscience de ses ressources internes, le patient peut ainsi devenir acteur de sa prise en charge en favorisant des comportements d’auto-efficacité (20). Cette « liberté » cognitive pourrait ainsi lui permettre d’être plus disponible à des comportements adaptés (21,22).
Limites, question de la dose, effets délétères
Il existe à ce jour peu d’essais contrôlés randomisés avec des cohortes suffisamment importantes pour pouvoir valider et extrapoler les résultats (23). De plus, le neuroscientifique Antoine Lutz met en garde contre l’engouement médiatique actuel. Il soulève notamment la question de la dose nécessaire pour obtenir un changement clinique significatif chez un patient. A titre d’exemple, la modification de la production de télomérase est observée après des retraites intensives de 3 mois ou chez des adeptes de la méditation Zen cumulant parfois plus de 10 000 heures de pratiques (8h de pratique par jour 7 jours sur 7 pendant plus de 3 ans)(14).
Concernant les effets délétères nous pouvons également regretter que seulement 25 % des études cliniques prennent en compte les possibles effets secondaires de la Mindfulness (23). En s’ouvrant à leurs expériences consciemment, les méditants décrivent des effets secondaires parfois désagréables comme un ressenti plus prononcé de leurs peurs, de leur anxiété, de leurs sensations corporelles désagréables etc… (24).. Ces effets secondaires ouvrent le pratiquant sur des réalités parfois difficiles mais qui peuvent, comme le montre cette même étude, l’ouvrir à une réévaluation des buts et des motivations et donc à du changement positif pour lui sur le long terme. Certains psychologues déconseillent la pratique de la pleine conscience pour certaines pathologies comme la schizophrénie, la dépression aigue, les troubles bipolaires non stabilisés, les troubles psychotiques (délires, hallucinations) ou la limitent à une pratique encadrée par des professionnels avertis sur les problématiques en santé mentale (en attendant des études complémentaires).
Les premières études semblent cependant montrer un certain intérêt à cette pratique pour les pathologies citées précédemment (25).
Seuls les instructeurs MBSR et MBCT (reconnus par l’Association de développement de Mindfulness et par le Center for Mindfulness) sont à ce jour habilités à délivrer cette technique (26,27). Cette reconnaissance exclusive permet également d’améliorer la qualité des études scientifiques en uniformisant les protocoles MBSR.
Conclusion
La méditation de Pleine conscience est un outil prometteur dans la prise en charge Bio-Psycho-Sociale de la douleur. En prenant conscience de ses sensations corporelles, de ses émotions et de ses pensées, le patient devient alors auto-efficace dans son traitement et permet aux kinésithérapeutes une reprise bienveillante de l’activité physique sans renforcement – entre autre – de schémas cognitifs d’évitement. Des études complémentaires sont cependant nécessaires afin d’évaluer avec précision l’impact de cette technique et la dose nécessaire à son efficacité.
Bibliographie
1. Kabat-Zinn J et Du Luart Y. Où tu vas, tu es. J’ai lu, 2013.
2. André C. Méditer, jour après jour : 25 leçons pour vivre en pleine conscience. L’Iconoclaste, 2011.
3. Ricard M, Lutz A et Davidson R. Méditation : comment elle modifie le cerveau. Pour la science n°448. 2015 [cited 2019 Feb 6]. Disponible sur internet : https://www.pourlascience.fr/sd/neurosciences/comment-la-meditation-modifie-le-cerveau-8322.php
4. Engen HG, Bernhardt BC, Skottnik L, Ricard M et Singer T. Structural changes in socio-affective networks: Multi-modal MRI findings in long-term meditation practitioners. Neuropsychologia, 2018, 116(Pt A):26–33.
5. Home – Mind & Life Institute. [cited 2019 Feb 6]. Disponible sur internet : https://www.mindandlife.org/
6. Goldberg SB, Tucker RP, Greene PA, Davidson RJ, Wampold BE, Kearney DJ, et al. Mindfulness-based interventions for psychiatric disorders: A systematic review and meta-analysis. Clin Psychol Rev, 2018, 59:52–60.
7. Brewer JA, Mallik S, Babuscio TA, Nich C, Johnson HE, Deleone CM, et al. Mindfulness training for smoking cessation: Results from a randomized controlled trial. Drug Alcohol Depend, 2011, 119(1–2):72–80.
8. Li W, Howard MO, Garland EL, McGovern P, Lazar M. Mindfulness treatment for substance misuse: A systematic review and meta-analysis. J Subst Abuse Treat, 2017, 75:62–96.
9. Gong H, Ni C-X, Liu Y-Z, Zhang Y, Su W-J, Lian Y-J, et al. Mindfulness meditation for insomnia: A meta-analysis of randomized controlled trials. J Psychosom Res, 2016 , 89:1–6.
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23. Van Dam NT, van Vugt MK, Vago DR, Schmalzl L, Saron CD, Olendzki A, et al. Mind the Hype: A Critical Evaluation and Prescriptive Agenda for Research on Mindfulness and Meditation. Perspect Psychol Sci, 2018, 13(1):36–61.
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26. Association pour le Développement de la Mindfulness. [cited 2019 Feb 6]. Disponible sur internet : https://www.association-mindfulness.org/
27. Center for Mindfulness – UMass Medical School. [cited 2019 Feb 6]. Disponible sur internet : https://www.umassmed.edu/cfm/
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