Les dimensions psychologiques et sociales de la douleur chronique : évaluation

Les dimensions psychologiques et sociales de la douleur chronique : évaluation

Les dimensions psychologiques et sociales
de la douleur chronique : évaluation

 

Auteur Rubrique de cours Relecteur Responsable
Théo Chaumeil Évaluation Yannick Barde Cabusson Thomas Osinski

Introduction :

L’évaluation psychosociale du patient souffrant de douleur chronique est une phase primordiale de la prise en charge. Savoir identifier les risques psychosociaux présents chez le patient grâce à des outils validés permet par la suite de mieux guider le thérapeute dans sa prise de décision clinique. [1,2]

Les dimensions à évaluer :

La perception de la douleur et les facteurs cognitifs

Les croyances des patients envers leur douleur jouent un rôle important dans l’évolution de la douleur des patients. En effet, des attentes négatives envers leur pronostic ou même concernant l’évolution de la douleur sont des prédicateurs d’amélioration faible. [3]

Il peut alors être très utile d’évaluer les croyances des patients ainsi que leurs attentes en leur faisant remplir le Brief Illness Perception Questionnaire (Brief IPQ). [4]

Les traitements antérieurs ou suivis en parallèle devraient aussi être abordés. En effet, l’attitude et les croyances véhiculées par les autres soignants peuvent jouer un rôle dans le comportement actuel du patient. Ce dernier peut tout à fait avoir modifié sa manière de bouger de peur de « se déplacer une vertèbre » ou « d’augmenter la taille de sa hernie discale ». [5, 6]

  • Exemple de questions à poser au cours de l’évaluation psychosociale :
  • « Selon vous, quelle est la cause de vos douleurs ? »
  • « Comment imaginez-vous la situation dans trois ans ? »
  • « Quels sont les autres professionnels de santé que vous avez consultés ? Que vous ont-ils dit ? »
  • Laisser s’exprimer le patient peut aider le thérapeute à identifier ses croyances en lien avec la douleur ainsi que ses attentes [7, 8]

 

Les facteurs émotionnels

Les facteurs émotionnels font référence à toutes les perceptions qui déclenchent un vécu émotionnel. De manière non-exhaustive, il peut s’agir :

  • De l’anxiété (mesurable avec le State-Trait Inventory [9])
  • De la kinésiophobie ou peur du mouvement (mesurable grâce le Tampa-Scale of Kinesiophobia [10])
  • Des sentiments comme la colère ou l’injustice (mesurables grâce à l’Injustice Experience Questionnaire [11])
  • Des pensées dépressives (mesurables grâce au Patient Health Questionnaire-2 [12])
  • Du catastrophisme, qui comprend les ruminations, l’impuissance et l’amplification, (mesurable grâce au Pain Catastrophizing Scale [13]).

Il est important de demander au patient s’il a vécu des événements traumatiques (accident perçu comme grave, décès, attentat, agression, etc). En effet, il s’agit d’un facteur souvent négligé au cours de l’anamnèse, qui joue pourtant un rôle important dans la phase de chronicisation des douleurs. [14]

  • Exemple de question à poser au cours de l’évaluation psychosociale :
  • « Qu’est-ce qui vous est le plus difficile à supporter à cause de la douleur ? »
  • « Quelles émotions font naître la douleur chez vous ? »
  • « Vous arrive-t-il d’imaginer le pire ? Si oui, qu’est-ce que ce serait ? »
  • « Avez-vous vécu des événements particulièrement difficiles au cours de ces dernières années ? »

 

Les facteurs comportementaux

Le terme comportement doit ici être pris au sens large. Il peut désigner :

  • Des modifications dans la manière de réaliser des mouvements (exemple : utiliser l’autre partie de son corps pour réaliser le mouvement, plier sur ses jambes de manière exagérée plutôt que de se pencher vers l’avant pour ramasser un objet tombé au sol, etc.)
  • Des activités que le patient choisit de délaisser ou alors d’augmenter (exemple : arrêter l’exercice physique, augmenter les moments où le patient se met au lit pour soulager sa douleur, etc.)

Certains patients entrent dans un processus d’évitement et s’enferment dans un cercle vicieux qui entretient leur douleur comme le montre le psychologue J. Vlaeyen avec le modèle de Peur-Évitement [15].  Le questionnaire Fear-Avoidance Belief Questionnaire peut alors être utilisé. [16]

Lorsque les comportements du patient ont été modifiés à cause de la douleur, il est important de le questionner sur le pourquoi de ces stratégies (ce qui nous renvoie à nouveau à évaluer les facteurs cognitifs responsables du changement de comportement). [7]

Il ne s’agit pas de confronter le patient de manière frontale à l’incohérence des gestes mis en place, mais plutôt d’amener une prise de conscience chez lui du fait que ses comportements sont inadaptés. (Voir la fiche sur la thérapie cognitive fonctionnelle)

  • Exemple de questions à poser au cours de l’évaluation psychosociale :
  • « Quels sont les mouvements que vous évitez de réaliser ? »
  • « Quelles sont les activités que vous avez stoppées ou grandement diminuées ? »
  • « Que faites-vous pour soulager votre douleur ? »

 

Les facteurs sociaux

Les facteurs sociaux regroupent : l’environnement social, familial, le travail, les relations de couple, etc.
Un entourage peu compréhensif à l’égard des plaintes du patient, un environnement social restreint, des problèmes de couple, sont autant de facteurs de risque qui contribuent à augmenter le sentiment de manque de soutien chez le patient. [17,18]

  • Exemple de questions à poser au cours de l’évaluation psychosociale :
  • « Comment votre entourage réagit à votre douleur ? »
  • « Quelles sont les répercussions de la douleur sur votre travail ? »
  • « La douleur vous empêche-t-elle parfois de sortir entre amis pour partager un verre ou un repas ? »

 

Conclusion

Il existe différents outils qui permettent d’évaluer les dimensions psychosociales de la douleur chez les patients souffrant de douleur chronique. Il est nécessaire de savoir les évaluer afin de mieux choisir les traitements à réaliser par la suite.*

Idées clés :

  • Savoir identifier les risques psychosociaux permet de mieux guider le thérapeute dans sa prise de décision clinique.
  • Utiliser des questionnaires appropriés permet d’évaluer les facteurs psychosociaux de manière précise
  • Privilégier les questions ouvertes permet de laisser s’exprimer le patient sur les répercussions de sa douleur

 

Bibliographie :
[1] Hague, M., & Shenker, N. (2014). How to investigate: Chronic pain. Best Practice and Research: Clinical Rheumatology, 28(6), 860–874.
[2] Wijma AJ, van Wilgen CP, Meeus M, Nijs J. Clinical biopsychosocial physiotherapy assessment of patients with chronic pain: The first step in pain neuroscience education. Physiother Theory Pract. 2016 Jul;32(5):368-84
[3] Campbell, P., Foster, N. E., Thomas, E., & Dunn, K. M. (2013). Prognostic indicators of low back pain in primary care: Five-Year Prospective Study. Journal of Pain, 14(8), 873–883.
[4] Broadbent E, Petrie KJ, Main J, Weinman J. The brief illness perception questionnaire. J Psychosom Res. 2006 Jun;60(6):631-7.
[5] http://www.independent.ie/life/health-wellbeing/health-features/10-myths-about-back-pain-and-how-to-cope-when-it-strikes-35330563.html
[6] Barker KL, Reid M, Minns Lowe CJ. Divided by a lack of common language? A qualitative study exploring the use of language by health professionals treating back pain. BMC Musculoskelet Disord. 2009 Oct 5;10:123
[7] Diener, I., Kargela, M., & Louw, A. (2016). Listening is therapy: Patient interviewing from a pain science perspective. Physiotherapy Theory and Practice, 32(5), 356–367.
[8] Wijma, A. J., van Wilgen, C. P., Meeus, M., & Nijs, J. (2016). Clinical biopsychosocial physiotherapy assessment of patients with chronic pain: The first step in pain neuroscience education. Physiotherapy Theory and Practice, 32(5), 368–384.
[9] Gauthier J, Bouchard S. Adaptation canadienne-française de la forme révisée du State-Trait Anxiety Inventory de Spielberger. Canadian Journal of Behavioural Science. 1993 Oct;559-578.
[10] French DJ, France CR, Vigneau F, French JA, Evans RT. Fear of movement/(re)injury in chronic pain: a psychometric assessment of the original English version of the Tampa scale for kinesiophobia (TSK). Pain. 2007 Jan;127(1-2):42-51.
[11] Sullivan MJ, Adams H, Horan S, Maher D, Boland D, Gross R. The role of perceived injustice in the experience of chronic pain and disability: scale development and validation. J Occup Rehabil. 2008 Sep;18(3):249-61.
[12] Kroenke K, Spitzer RL, Williams JB. The Patient Health Questionnaire-2: validity of a two-item depression screener. Med Care. 2003 Nov;41(11):1284-92.
[13] French J, Douglas N, Vigneau M. (2005). L’échelle de dramatisation face à la douleur PCS-CF : Adaptation canadienne en langue française de l’échelle Pain Catastrophizing Scale. Canadian Journal of Behavioural Science. 37, 181-192.
[14] Wippert P-M, Fliesser M, Krause M. Risk and protective factors in the clinical rehabilitation of chronic back pain. Journal of Pain Research. 2017;10:1569-1579.
[15] Leeuw M, Goossens ME, Linton SJ, Crombez G, Boersma K, Vlaeyen JW. The fear-avoidance model of musculoskeletal pain: current state of scientific evidence. J Behav Med. 2007 Feb;30(1):77-94.
[16] Chaory K., Fayad F., Rannou F., Lefèvre-Colau M.-M., Fermanian J., Revel M., Poiraudeau, S. (2004). Validation of the French Version of the Fear Avoidance Belief Questionnaire. Spine, 29(8), 908–913.
[17] Koban L, Wager TD. Beyond conformity: Social influences on pain reports and physiology. Emotion. 2016 Feb;16(1):24-32
[18] Whitburn LY, Jones LE, Davey MA, Small R. The meaning of labour pain: how the social environment and other contextual factors shape women’s experiences. BMC Pregnancy Childbirth. 2017 May 30;17(1):157.

GI Douleur

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