Performance motrice et handicap du douloureux chronique
Auteur | Rubrique de cours | Relecteurs | Responsable |
Stéphane FABRI | Evaluation de la douleur | Siloe CORVIN Sophie TAILLEFER |
Damien AUBERT |
Introduction
La douleur est un phénomène complexe qui dépasse la lésion tissulaire [1][2]. Les thérapeutiques fonctionnelles, moins toxiques que la médecine médicamenteuse, sont possibles car l’organisme possède des dispositifs capables de limiter partiellement ou totalement la nociception [3] [4]. L’altération de ces mécanismes physiologiques laisse la nociception ascendante sans modulation, libre de stimuler massivement les zones du cerveau impliquées dans la perception douloureuse [4]. C’est ce que l’on retrouve dans les personnes en situation de fatigue. En effet, que ce soit chez l’animal ou chez l’homme, la fatigue est responsable d’une hyperalgésie secondaire à une dysfonction des systèmes anti-douleurs.
Lutter contre cette fatigue par le reconditionnement physique en rééducation fonctionnelle serait un moyen pertinent pour optimiser les mécanismes naturels de blocages de la douleur. Il existe cependant des spécificités à cette option thérapeutique et ce sera l’objet de ce travail.
Notion de fatigue, périphérique et centrale.
Il existe plusieurs définitions de la fatigue qui se résument en une baisse des capacités maximales de production de force [5]. Cette explication est valable pour les professionnels du sport mais ne peut pas être transposée à la kinésithérapie car la fatigue comme la douleur est un phénomène complexe. Au niveau musculaire, c’est la lyse de l’ATP en ADP+Pi qui permet de désolidariser les ponts actine/myosine et de les rendre par la suite disponible. La consommation d’énergie est donc observée dans la phase de relâchement musculaire et non dans la contraction. Les fibres posturales sont plus robustes à la fatigue et endurante [6]. On doit considérer que la fatigue est avant tout un défaut de relâchement musculaire avant d’être une baisse des capacités. La commande nerveuse centrale est impactée par la fatigabilité périphérique. Pour réaliser une tache définit comme simple, le cerveau, confronté à des performances périphériques faibles, se doit de produire beaucoup plus de stimulation motrice. La fatigue périphérique conditionne la fatigue centrale. Cette fatigue centrale a des répercussions multifactorielles à la fois sur le plan moteur et cognitif [7]. La fatigue centrale est à l’origine de perturbations multiples du traitement de l’information au niveau du cerveau qui peut être relié à la sensation de douleur.
Relation entre fatigue et douleur
Il existe souvent une association entre la fatigue, les syndromes de douleurs chroniques et une sensation de perte d’énergie qui se ressent dans l’ensemble du corps. Chez l’animal, la fatigue induite par une course de longue durée entraine une réponse nociceptive augmentée au niveau de la patte [8]. Cette hyperalgie n’est pas en rapport avec une modification métabolique périphérique. Ces résultats suggèrent que des mécanismes centraux, plus que périphériques, sous-tendent à une réponse majorée de la douleur. Comprendre les interactions entre la fatigue et la douleur dans un modèle simplifié peut mener à une meilleure compréhension des mécanismes responsables des douleurs diffuses. Chez l’homme, le seuil de pression douloureuse au niveau de la peau entre le pouce et l’index est nettement diminué chez les sujets en situation de fatigue [9]. L’augmentation de la perception douloureuse dans un contexte de fatigue révèle un dysfonctionnement des mécanismes anti-nociceptifs [10]. Ce sont bien les systèmes de blocage de la douleur au niveau du cerveau qui sont altérés dans une condition de fatigue centrale générée en partie par le déconditionnement périphérique et/ou les désordres métaboliques (alimentation, substances toxiques, médicaments), et/ou stress cognitif et émotionnel [11].
Évaluation des performances motrices du sujet.
Recherche des perturbations fonctionnelles en rapport avec la fatigue et la douleur.
L’évaluation des performances motrices doit principalement rechercher l’origine de la fatigabilité du sujet, souvent déconditionné dans un mode de vie sédentaire. La performance première et incontournable demandée à un sujet bipède est d’organiser sa posture érigée dans la gravité. C’est la principale dépense d’énergie et donc la première source de fatigue à explorer. Pour cela, chaque individu utilise plusieurs systèmes d’équilibration que sont la somesthésie (proprioception, extéroception et intéroception), le système visuel, le vestibule [12][13]. S’il existe des informations divergentes secondaires à la perturbation d’un capteur postural, le patient devra dépenser un surplus d’énergie pour maintenir sa position érigée dans la gravité et sera sujet à l’apparition d’une fatigue précoce [14] [15]. Les troubles de régulations de la posture s’évaluent à l’aide d’une plate-forme stabilométrique qui évalue la performance érigée du sujet.
Evaluation fonctionnelle des conséquences de la douleur
La douleur a des répercussions sur les performances motrices volontaires segmentaires et analytiques. Il est nécessaire de les évaluer pour définir des critères de progression. Ce test peut se faire de manière instrumentale et segmentaire sur appareil isocinétique ou global avec le test de flexions de genou en 30 secondes ou le test de 6 minutes de marche. D’autres évaluations, comme la détente verticale ou le « landing test », restent intéressant.
Évaluation subjective de la fonction et du handicap
Les recommandations britanniques proposent des évaluations fonctionnelles sous forme d’auto-questionnaires que remplissent les patients en début de consultation [16]. Il est possible d’utiliser des scores génériques de qualité de vie tels que le SF36 ou le SF12. Le questionnaire FABQ est plus orienté sur les pensées et les croyances du patient face à la douleur [17]. En ce qui concerne le handicap, le London Handicap Scale semble être l’auto-questionnaire le plus adapté à l’évaluation du handicap du sujet douloureux chronique [18]. C’est une évaluation par niveau d’intervalle sur la mobilité du sujet, son indépendance physique, ses occupations (travail, loisirs, sports..), son intégration sociale, sa perception du monde extérieur et son indépendance économique. Cette échelle prend en compte les paramètres perçus par le patient douloureux chronique
Reconditionnement des performances motrices.
Il est souhaitable, en amont de cette phase, que l’équilibre postural du patient soit optimiser pour garantir l’efficacité du reconditionnement. En effet, lors de la production d’un mouvement dans une activité physique, la normalisation du tonus postural est un pré-requis pour une meilleure exécution du geste [19][20]. Pour que la gestion de l’équilibre et de la posture soit performante, il est parfois nécessaire d’avoir recours au port de semelles orthopédiques, à une rééducation occulo-motrice, à des mobilisations articulaires spécifiques, à la correction d’un trouble de l’occlusion dentaire [21][22][23][24].
Cette analyse nous oriente sur la différence qu’il peut exister entre la fatigue et la sensation de fatigue [7]. Il est possible de ressentir une fatigue sans effort physique, avec seulement l’accomplissement d’une journée stressante et mentalement difficile [7]. A l’inverse, chez une personne saine, sportive, la perception de fatigue, voire de douleur peut être perçu de manière satisfaisante (la bonne fatigue, la bonne douleur). Chez le sportif de haut niveau, la perception de fatigue et de douleur est fréquemment interprétée comme la réalisation parfaite d’une épreuve physique, témoin de la tache accomplie où le message perçu sera une satisfaction personnelle, un soulagement. La part non physiologique de la perception de l’effort est aussi liée à des facteurs psychologiques (anxiété, dépression), sociologiques (présence d’un co-acteur), et environnementaux (exercice, jeux, écouter de la musique)[10].
Les patients fibromyalgiques ont une grande difficulté à discerner la perception de l’effort de la perception de douleur pour des exercices d’intensité modérée. Cette constatation suggère que la perception de l’effort et la perception de la douleur partagent les mêmes mécanismes [10]. Il est donc fondamental, pour permettre un reconditionnement dans de bonnes conditions, de prendre en considération la perception de l’effort avec toutes ses composantes.
Application pratique en rééducation
Les techniques de reconditionnement fonctionnelle doivent prendre en compte le versant musculaire, cardio-respiratoire et proprioceptif au sens de la reprogrammation neuro-musculaire. Le danger de l’utilisation du matériel de musculation traditionnel (presse, squatt, chaise de musculation, butterfly, banc de musculation…) est l’image que ces outils renvoie au patient. La kinésiophobie et l’appréhension de la sollicitation corporelle peut générer une majoration de la perception douloureuse et de la sensation de fatigue [25]. Il est important de définir en amont le centre d’intérêt du patient de manière à provoquer une sensation de jouissance lors de l’effort physique. Cette perception de bien être est obtenue durant les activités ludiques et les séances de relaxation ou d’hypnose. Les jeux, en réalité virtuelle, permettent de provoquer une sollicitation corporelle dans un état de dissociation corporelle [26][27]. L’utilisation des masques de réalité virtuelle permet de diminuer la douleur et d’avoir un effet qui se prolonge quelques temps après l’arrêt [28]. Cette technique a prouvée son efficacité pour les patients atteints de brulures mais la sollicitation fonctionnelle reste modeste [26][27][28]. Les dispositifs de réalité virtuelle avec caméra et modélisation du patient sont plus adéquats. Le sujet joue en dirigeant un avatar qui reproduit tous les mouvements effectués par le patient. Ce dispositif permet de sursoir aux machines de musculation traditionnelle ce qui limite le versant néfaste de la perception de l’effort. Lors de ce jeu, la sollicitation dynamique du corps, sur un plan musculaire et cardio-respiratoire, est présente alors que l’activité cognitive du sujet est sous l’emprise du gain de points et de la réussite des épreuves. La reprogrammation neuro-musculaire et motrice et obtenue par l’avatar qui est la propre projection visuelle du patient dans le jeu [29]. Cette forme de thérapie miroir est globale et permet de reconstruire l’image corporelle du sujet, souvent déformée chez les douloureux chroniques. Les améliorations de l’image corporelle vont de pair avec l’amélioration des symptômes douloureux [30].
Conclusion
Toutes les revues de littératures et méta-analyses ne peuvent pas construire à elles seules la prise en charge idéale et protocolisée du patient douloureux chronique. Le concept EBP qui prend en compte l’expertise du thérapeute et surtout le projet et l’attente du patient s’accorde parfaitement avec cette thérapeutique. La clé, pour le praticien, sera son adaptabilité à chaque situation et la personnalisation de la prise en charge. Avant de vouloir traiter la douleur, il est important de définir les caractéristiques fonctionnelles du sujet qui peuvent l’expliquer et la traiter. Ces déficits, qu’ils soient métaboliques, émotionnels ou fonctionnels s’inscrivent dans un processus évolutif d’adaptation et s’exprime lorsqu’il n’y a plus de compensation possible. Les répercussions sur les performances physiques de l’appareil locomoteur, déjà altérés en silence, sont néfastes et génèrent le handicap. Pour sortir de cette spirale de régression, les solutions sont multiples et l’option fonctionnelle doit respecter certaines règles. L’important est de comprendre l’histoire unique et singulière du patient douloureux chronique. La réussite de la prise en charge pour sortir du handicap et récupérer les performances motrices dépendra principalement de la personnalisation du traitement, tant sur les évaluations que sur les modalités de reconditionnement neuro-musculaire, cardio-respiratoire et proprioceptif. Cette thérapeutique reste un unique tremplin pour que le patient retrouve une activité sociale, professionnelle et sportive.
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