Mais pourquoi ce médicament ?

Mais pourquoi ce médicament ?

Comprendre la prescription des médicaments antalgiques

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Guillaume Thierry

Moyens thérapeutiques

Célia Amory

Nathan Risch

Introduction :
La douleur est un motif de consultation très fréquent en masso-kinésithérapie. Au cours de l’interrogatoire ou d’une séance de rééducation, il n’est pas rare que le masseur-kinésithérapeute soit confronté à l’incompréhension d’un patient sur une thérapeutique médicamenteuse, qui lui a été prescrite ou refusée, qui diffère de celle dont il est habitué, ou de celle qu’il a constaté par ailleurs. Occasionnellement, le masseur-kinésithérapeute peut être étonné par le traitement médicamenteux antalgique mis en place, et qui ne correspondrait pas à celui qui est usuellement proposé pour des patients ayant une condition médicale similaire. Pourquoi ?
Petit tour d’horizon de ce qu’implique une prescription médicamenteuse à visée antalgique.

1. La diversité
La diversité ! Nous la vivons quotidiennement :

  1. Diversité des mécanismes générant les douleurs (excès de nociception, neuropathique, etc.)
  2. Diversité de l’expression clinique, du vécu et des conséquences de l’expérience douloureuse
  3. Diversité entre les individus, tant au niveau biologique, psychologique, que social.

Il ne saurait donc y avoir de choix simples en matière de thérapeutique antalgique. C’est ainsi que nous retrouvons des médicaments, tantôt classés par des paliers dont la définition ne reflète pas toujours la réalité clinique (1), tantôt selon le type de douleurs (2), tantôt selon l’action sur la transduction, la transmission, la modulation ou la perception du signal nociceptif (3), tantôt selon la classe d’appartenance (antalgique/analgésique, anti-inflammatoire, co-analgésique, anti-dépresseur, antalgique-antipyrétique, opioïdes, etc.) (4)(5).

Bien que nous n’intervenons pas dans la pharmacothérapie, notre métier de kinésithérapeute « comporte la promotion de la santé, la prévention, le diagnostic kinésithérapique et le traitement des troubles du mouvement ou de la motricité de la personne ainsi que des déficiences ou des altérations des capacités fonctionnelles. » (6). Il nous appartient donc de comprendre les indications, les éléments probants et les mécanismes proposés pour les agents pharmacologiques dans la gestion des douleurs (4,6)

2. La prescription : une stratégie thérapeutique
En concomitance avec le choix de prescrire un antalgique, chaque médecin (7), définit et optimise une stratégie thérapeutique liée à la pathologie, aux caractéristiques propres du patient (voir ci-dessous), aux comorbidités, aux traitements éventuellement associés, mais également selon ses préférences et ses habitudes.

 

Exemples de leviers utilisés par le médecin pour l’optimisation de la stratégie thérapeutique

  • Adapter la posologie aux recommandations et au profil du patient.
  • Adapter le mode d’administration, selon le but recherché et évitant les incompatibilités.
  • Évaluer et prévenir le risque iatrogène pour le patient (contre-indications, associations médicamenteuses à proscrire, prévention des effet indésirables).
  • Transmettre des conseils au patient concernant le traitement, sa surveillance, l’alimentation ou l’hygiène associé.

Quant au patient, il se présente face au médecin avec :

  • D’une part, un problème médical, normalement contemporain à la consultation, d’une gravité et d’une durée déterminée. Ce problème médical justifiant potentiellement une médication.
  • D’autre part, avec des caractéristiques qui lui sont propres, le distinguant des autres patients, et des groupes expérimentaux sur lesquels les médicaments ont été testés. De plus, ces attributs propres à un individu sont, pour la plupart, dynamiques, en ce sens qu’ils ne sont pas figés dans le temps.

 

Les caractéristiques propres au patient :

  • Démographique (âge, sexe, poids)
  • Mode de vie (tabagisme, alimentation, consommation d’alcool)
  • État de santé (hépatique, rénal, cardio-vasculaire, cognitif, allergie/intolérance, traitement en cours ou traitement antérieur, handicap, grossesse, etc.)
  • Situation économique
  • Attente et stratégie de confrontation face à la maladie ou la douleur (fatalisme, etc.)
  • Croyances envers la substance active du médicament : crainte de l’addiction, de l’accoutumance, des effets secondaires, confusion entre la gravité de la maladie et l’intensité des douleurs, etc. Laisser s’exprimer le patient peut aider le thérapeute à identifier ses croyances en lien avec la douleur ainsi que ses attentes [7, 8]


3. Patient et pharmacothérapie : un duo complexe
Avant-propos : Pour l’ensemble des items présentés ci-après, issus des écrits de Calop et al. sur le concept des « soins pharmaceutiques » (7), et donnés à titre indicatif, les appréciations professionnelles du pharmacien ou du médecin demeureront toujours primordiales pour établir un jugement pertinent.

À l’issue de l’établissement de cette stratégie thérapeutique, de multiples situations peuvent survenir et justifier le fait qu’un patient n’ait pas le médicament ou le mode d’administration auquel le masseur-kinésithérapeute pourrait raisonnablement s’attendre en se basant, par exemple, sur les mécanismes de la douleur présent chez ce patient.Le patient pourrait entrer dans les indications du médicament mais il n’est pas prescrit.

 

Exemple

« Cette fois, mon médecin ne m’a pas prescrit de codéine pour mes douleurs intenses, alors qu’il le fait d’habitude » Mme B, 7e mois de grossesse

S’il y a des douleurs à traiter, celles-ci ne peuvent peut-être pas l’être à cause d’une condition particulière du patient. En cas de grossesse, la prise d’AINS, d’opioïdes faibles ou de paracétamol doit être très encadrée. Parfois, une stratégie non médicamenteuse peut être tout à fait indiquée.
Dans d’autres cas le médecin peut choisir de passer d’un médicament de première intention, à un médicament de seconde intention (8).

Les attentes du patient quant à son traitement entrent en compte. Souvent sous l’influence de facteurs émotionnels et liées au vécu de la maladie, celles-ci peuvent être différentes des attentes du professionnels de santé en termes de démesure ou de minimalisme (9).
Outre l’âge du patient, le choix de la galénique (forme à libération prolongée ou libération immédiate) dépend aussi de facteur comme le rythme nycthéméral.

 

Exemple

« Je veux que ce médicament me soulage à 100% avant de reprendre le travail et le sport » M. C, souffrant de lombalgies chroniques.

 

3.a Le patient ne prend pas le médicament qui convient dans le cas général.
Les caractéristiques du patient ainsi que ses préférences, les aspects économiques, l’efficacité et la sécurité du produit peuvent être à l’origine d’un choix alternatif.

 

Exemple

« Je suis très attachée à mon indépendance. (…) Ce que je n’accepterais pas, c’est qu’on m’abrutisse avec de la morphine ou des anti-stress comme on donne aux personnes âgées, sauf ponctuellement. Je n’ai pas envie de perdre ma conscience. » F, 77 ans (10)

Les traitements à base de morphine ou d’antidépresseurs sont souvent refusés par les personnes âgées, afin d’éviter des effets secondaires sur la vigilance et l’équilibre (10).

3.b Le patient a une dose qui parait trop forte ou trop faible du médicament.
L’âge, les caractéristiques physiques et morphologiques du patient, et sa condition sont autant de facteurs influant sur la dose prescrite. Chez la personne âgée, il est plutôt recommandé d’utiliser une posologie minimale efficace et l’augmenter si besoin, et d’éviter les présentations à libération prolongée pour les douleurs d’intensité modérée à intenses (11). Trouver le traitement adapté en termes de dosage et de stabilité est une difficulté retranscrite par la population âgée (10)

3.c Le patient présenterait un risque de réaction médicamenteuse indésirable en prenant ce médicament.
Les allergies et les intolérances entrent bien sûr en compte dans le choix d’un médicament. Les sujets asthmatiques ont, par exemple, un risque de manifestation allergique et de crises d’asthme plus élevé en cas de prise d’acide acétylsalicylique (5).

3.d Le patient pourrait subir une interaction avec un autre médicament, une pathologie, un aliment, un test biologique.

La fonction rénale et la prise d’anticoagulants sont, par exemple, des éléments majeurs à prendre en compte lors de la prescription d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (5, 11).

 

Exemple

« Ma voisine, elle a la même chose et elle prend des anti-inflammatoires, elle ! » Mme N, 77 ans, souffre de rhumatismes inflammatoires chroniques.

3.e Le patient ne prend pas le médicament tel que mentionné dans la prescription.
Véritable problème de santé publique, la question de l’observance du patient est ici posée (12, 13) mais également celle de la capacité du patient à comprendre la prescription (14). Le patient prend un médicament sans indication médicale valable.

 

Exemple

« J’ai eu mal à l’épaule ce week-end, je ne suis pas allé consulter le médecin pour si peu, j’ai pris un tramadol dans une boîte qu’il me restait chez moi, et çà passera bien d’ici quelques jours » M. R, 45 ans.

Non-respect du bon usage des antalgiques en automédication (15,16), complexité du traitement médicamenteux (>5 médicaments, > 3 fois par jour, etc.) (14), tout ceci influer sur la pertinence du choix d’un médicament par rapport à un autre. « Quand l’ordonnance est importante, la prescription d’anti-douleur n’est pas nécessairement la mieux respectée. » conclue un rapport de la DREES (10) à propos de la médication des personnes âgées.

 

Conclusion
Prescrire un médicament est un processus demandant aux acteurs de la prescription, médecin et pharmacien, d’avoir en tête le profil le plus complet possible du patient. Des particularités d’ordre biologique, médicale, psychologique ou socio-économique peuvent aboutir à la prescription, ou à l’absence de prescription d’un principe actif pourtant généralement utilisé dans le cas général.
La connaissance du processus de prescription, du mode d’action des principaux antalgiques ainsi que de leur contre-indication pourront aider le masseur-kinésithérapeute à identifier les facteurs susceptibles d’impacter le bon déroulement d’une rééducation.

 

Idées clés 

  1. Comprendre la prescription d’antalgiques en tant que stratégie thérapeutique à part entière.
  2. Cibler les principales raisons pour laquelle un principe actif est prescrit.
  3. Visualiser les étapes d’une prescription d’antalgiques.

 

Bibliographie

(1) Pascale Vergne-Salle, Md PhD. Les paliers analgésiques de l’OMS: Sont-ils appropriés pour la douleur articulaire ? De l’AINS aux opioïdes. FACT SHEET No. 18. IASP. 2016.

(2) Assurance Maladie. Prise en charge des douleurs nociceptives de l’adulte en dehors des douleurs d’origine cancéreuse après avis HAS. Décembre 2010.

(3) Yong RJ., Nguyen M, Nelson E., et al. Pain Medicine: An Essential Review. Springer. 1ere édition. 2017. ISBN 978-3-319-43133-8

(4) IASP. Curricula. https://www.iasp-pain.org/Education/CurriculaList.aspx?navItemNumber=647

(5) Isabelle Roguet, et al. VIDAL Le Dictionnaire. Vidal. 2017. 978-2850913679

(6) Ministère des affaire sociales, de la santé, et des droits des femmes. Arrêté du 2 septembre 2015 relatif au diplôme d’État de masseur-kinésithérapeute (JORF n00204 du 04 septembre 2015).

(7) Calop J., Limat S., et al. Pharmacie clinique et thérapeutique. 4e édition (24 octobre 2012). Elsevier Masson. 978-2294711329

(8) Martinez V., Attal N., Bouhassira D. et al. Chronic neuropathic pain: Diagnosis, evaluation and treatment in outpatient services. Guidelines for clinical practice of the French Society for the Study and Treatment of Pain. Douleurs Évaluation – Diagnostic – Traitement (2010) 11, 3—21. doi:10.1016/j.douler.2009.12.009

(9) Marie Paule Schneider, Lilli Herzig, Denise Hugentobler Hampai, Olivier Bugno. Adhésion thérapeutique du patient chronique : des concepts à la prise en charge ambulatoire. Rev Med Suisse. 2013; volume 9. 1032-1036.

(10) Élodie DAVID, Bruno MARESCA, Aubane FONTAINE . La prise en charge de la douleur chronique ou liée aux soins chez les personnes âgées, par la médecine de ville, les services à domicile et l’hospitalisation à domicile. Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques DREES. Document de travail n°63. Août 2006.

(11) AFSSAPS, SFR, SFETD. Prise en charge des douleurs de l’adulte modérées à intenses. Mises au point. Recommandations après le retrait des associations dextropropoxyphène/paracétamol et dextropropoxyphène/paracétamol/caféine. 2011.

(12) Perrot S., Poulain P., Serrie A., et al. Description des prescriptions de traitements pharmacologiques à visée antalgique et de leur observance en France : résultats de l’étude épidémiologique National Health and Wellness Survey réalisée auprès de 15 000 personnes adultes. DOULEURS : EVALUATION, DIAGNOSTIC, TRAITEMENT, Vol 14, N° 3, 2013/06, pages 119-130, fig., tabl., 32 réf., FRA ISSN 1624-5687.

(13) Baudrant-Boga M., Lehmann A., Allenet B. Thinking differently the patient medication compliance: From an injunctive posture to a working alliance between the patient and the healthcare provider — Concepts and determinants . Ann Pharm Fr. 2012 Jan;70(1):15-25. doi: 10.1016/j.pharma.2011.10.003.

(14) HAS. Outils de sécurisation et d’auto-évaluation de l’administration des médicaments. Mai 2013.

(15) AMELI. Bien utiliser les médicaments contre la douleur ou antalgiques. https://www.ameli.fr/jura/assure/sante/utiliser-medicaments/utiliser-antalgiques

(16) Ministère de la Santé et de la Protection Sociale de France, Coulomb A., Baumelou A., et al. Situation de l’automédication en France, et perspective d’évolution, marché, comportements, positions des acteurs – Rapport de travail. La documentation Française. Janvier 2007.

GI Douleur

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