Comment les nerfs peuvent contribuer aux douleurs

Comment les nerfs peuvent contribuer aux douleurs

Physiopathologie des douleurs neuropathiques associées à une lésion du système nerveux périphérique

 

Auteur Rubrique de cours Relecteur Responsable
Sarah Hoarau Physiopathologie Yannick Barde-Cabusson Thomas Osinski

Introduction

Selon l’IASP (Internation Association of Study of Pain), la douleur neuropathique est causée par une lésion ou maladie du système somato-sensoriel. Elle est donc pathologique par définition. Douleur neuropathique et nociceptive sont définies de façon dichotomique mais cela peut être relativisé car nombre de syndromes douloureux font en réalité intervenir ces deux mécanismes.
En cas de lésion du système nerveux périphérique, différents mécanismes douloureux peuvent intervenir, dans des temporalités variables.
Bien que de nombreuses interrogations demeurent quant aux liens entre les caractéristiques cliniques des douleurs neuropathiques et les mécanismes qui les sous-tendent, certaines corrélations ont déjà été constatées.
On admet aujourd’hui que les douleurs associées à des lésions du système nerveux périphérique font intervenir dans un premier temps des mécanismes physiopathologiques périphériques entraînant secondairement des mécanismes centraux.

 

Mécanismes périphériques

Genèse d’activité électrique anormale
La lésion nerveuse engendre une activité électrique dite ectopique car elle ne prend pas naissance au niveau de la terminaison nerveuse. Elle peut prendre naissance au niveau d’un bourgeon de régénération où s’accumulent des récepteurs, d’une plaque de démyélinisation, d’un ganglion spinal, d’une fibre adjacente ou du fait de la perturbation de la fonction des canaux ioniques.
Ces activités ectopiques peuvent être spontanées ou provoquées (mécaniquement, thermiquement ou chimiquement).

Implications cliniques : Le type de fibres concerné par ces activités ectopiques semble expliquer les différentes caractéristiques cliniques des douleurs neuropathiques spontanées.
Dans les neuropathies « dépendantes de la longueur » (Guillain Barré, polynévrite éthylique…), les douleurs continues à type de brûlure seraient liés à une activité spontanée des fibres C (fibres nociceptives de la sensibilité thermo-algique).
Les douleurs paroxystiques à type de décharges électriques seraient, quant à elles, associées à des lésions des fibres myélinisées non-nociceptives (fibres de la sensibilité vibro-tactile). Plus spécifiquement dans les cas étudiés de névralgies postherpétiques et de syndromes du canal carpien, ces douleurs sont associées à des démyélinisations focales des fibres Aβ.

Changements phénotypiques
Des modifications des protéines synthétisées par les fibres nerveuses ont été constatées après lésion, notamment pour permettre les processus de régénération. Cependant, elles peuvent également amener des fibres nerveuses non-nociceptives à synthétiser des neuromédiateurs pro-nociceptifs. Il existe aussi un changement d’activité de certaines fibres nociceptives qui vont devenir sensibles aux stimuli mécaniques alors qu’elles ne le sont pas à l’état de base.
Implications cliniques : Cette modification de synthèse de neuromédiateurs non-nociceptifs en neuromédiateurs pro-nociceptifs est une des explications potentielles de l’allodynie. La sensibilité mécanique de certaines fibres à la base insensibles participe au phénomène d’hyperalgésie primaire.

Couplages électriques
Des modèles expérimentaux animaux ont mis en évidence des mécanismes de couplages électriques : par création de connexions entre différentes fibres ou par activation de fibres contiguës. Il est possible que certains de ces mécanismes interviennent chez l’humain.
Implications cliniques : L’activation post-stimulus de fibres non initialement activées pourrait fournir une explication aux symptômes d’hypersensibilité et d’allodynie.

Sensibilisation des nocicepteurs
Après une lésion, un processus inflammatoire va se mettre en place. Les différentes substances mises en jeux (voir la fiche sensibilisation périphérique) vont avoir pour effet d’exciter les fibres nociceptives. Cela se traduit par un abaissement du seuil d’excitabilité (une plus faible stimulation permet la genèse d’un potentiel d’action), une activité plus importante post-stimulation et une augmentation de l’activité basale des fibres nociceptives.
Implications cliniques : Ce phénomène de sensibilisation des nocicepteurs peut expliquer une partie de l’hyperalgésie primaire (augmentation de la douleur aux stimuli mécaniques et thermiques normalement douloureux).

Inflammation neurogène
Certaines fibres nociceptives ont une capacité de libération de substances pro-inflammatoires (substance P et Calcitonine Gene Related Peptide). Cette activité exocrine a pour effet de sensibiliser les fibres nociceptives voisines dans un phénomène dit d’inflammation neurogène. Cela s’accompagne aussi d’une stimulation du système immunitaire et vasculaire.
Implications cliniques : L’inflammation neurogène peut expliquer une partie de l’hyperalgésie primaire et des réactions vasculaires (œdème, rougeur, chaleur).

 

Mécanismes centraux

Sensibilisation centrale
La sensibilisation centrale est définie par D. Bouhassira comme « l’hyperexcitabilité durable et pathologique des neurones nociceptifs centraux ». Elle a pour double caractéristique d’augmenter l’intensité des réponses normalement nociceptives et de favoriser les réponses aux stimulations normalement non-nociceptives.
Son développement serait en lien dans un premier temps avec des mécanismes périphériques, notamment l’hyperactivité des fibres C nociceptives ou l’activité nociceptive de fibres normalement non-nociceptives (voir la fiche sur la sensibilisation centrale). La sensibilisation centrale pourrait dans un second temps évoluer indépendamment des mécanismes périphériques et ne faire intervenir plus que des mécanismes centraux.
Implications cliniques : Le phénomène de sensibilisation centrale explique une partie de l’hyperalgésie secondaire et l’allodynie retrouvées dans les douleurs neuropathiques.

Neuroplasticité
Les phénomènes de neuroplasticité évoquent une réorganisation fonctionnelle topographique des circuits neuronaux centraux. Elle peut concerner les étages médullaires et cérébraux. C’est ainsi qu’on peut constater des associations dysfonctionnelles : l’activation par un stimulus lambda de zones corticales ou de faisceaux médullaires normalement non stimulés. Les phénomènes neuroplastiques associés à des douleurs peuvent donc être variés ; par exemple la neuroplasticité cérébrale a un rôle prépondérant dans les douleurs de membres fantômes et la neuroplasticité médullaire fait partie des hypothèses d’explication de l’allodynie.
Implications cliniques : Une autre hypothèse concernant l’allodynie suggère un mécanisme de neuroplasticité à l’étage médullaire : les neurones de premier ordre Aβ non-nociceptifs fourniraient des ramifications pour les couches superficielles de la corne dorsale de la moelle (voie nociceptive centrale).

Altération des systèmes de modulation
Le système de la douleur fait intervenir de nombreux systèmes de régulation dont, un système d’inhibition aux composantes tonique et phasique. Dans les douleurs neuropathiques chroniques on observe une dégénérescence des interneurones inhibiteurs et un changement de fonctionnement des récepteurs GABAnergiques. Ces phénomènes diminuent l’efficacité de l’inhibition au niveau médullaire et participe à ce qu’on appelle une désinhibition.
Implications cliniques : Cette perte d’inhibition peut expliquer une partie des phénomènes de douleurs diffuses, d’allodynie et de douleur spontanée.

Pistes neuro-immunitaires
Les cellules gliales jouent un rôle important dans la fonction synaptique. Dans le cadre de douleurs neuropathiques il apparaît que les astrocytes et la microglie subissent des changements phénotypiques (croissance et production de substances pro-inflammatoires). Ces modifications vont changer le fonctionnement des synapses médullaires dans le sens d’un accroissement de la transmission nociceptive.
Implications cliniques : L’activation gliale au niveau médullaire joue un rôle dans le phénomène d’hyperalgésie.


Bibliographie
Bouhassira D. Douleurs neuropathiques.  2ème éd. Rueil-Malmaison; Arnette : 2012
Truini A, Cruccu G. How diagnostic tests help to disentangle the mechanisms underlying neuropathic pain symptoms in painful neuropathies. Pain. févr 2016;157 Suppl 1:S53-59.

 

Vidéo
Mécanismes médullaires dans l’allodynie : sensibilité centrale ? neuroplasticité ?
https://www.youtube.com/watch?v=LefD1DFmbvA

GI Douleur

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