Prise en charge de la douleur : un travail pluri-professionnel

Prise en charge de la douleur : un travail pluri-professionnel

Groupe de personne

La kinésithérapie dans le parcours de soin :
un travail pluri-professionnel

Auteur Rubrique de cours Relecteurs Responsable
Damien AUBERT La kinésithérapie dans le parcours de soin Nolwenn POQUET
Anthony DEMONT
Laurent ROUSSEAU

 

Introduction

La prise en charge « patient-centré » implique une recherche constante des problématiques du patient, dans son environnement. En outre, le patient est au cœur de son traitement et les différentes dimensions de sa pathologie et de sa personne seront prises en compte.

La douleur chronique est un phénomène de grande ampleur, touchant prioritairement les pays industrialisés. A titre d’exemple, la prévalence à travers l’Europe a été estimé à 19% pour des adultes de plus de 18 ans [1], [2]. La douleur chronique se manifeste par le biais de différents mécanismes étiologiques, et entraîne de nombreuses répercussions sur le quotidien des patients (isolement social, dépression, déconditionnement global, kinésiophobie, catastrophisme, etc.). Il apparaît donc évident que les prises en charges combinant l’intervention de différents thérapeutes soient les plus efficientes et prometteuses pour mieux appréhender le patient [3], [4].

Objectifs

Connaître les divers intervenants dans le parcours de soin de la douleur chronique et les différentes modalités de mise en pratique.

Des professionnels qualifiés

Il existe un ensemble de professionnels de santé capables d’intervenir auprès de patients douloureux chroniques. Chacun d’eux peut proposer diverses actions basées sur une expertise différente mais complémentaire. Ils ont également la possibilité de se former afin d’améliorer leurs connaissances dans ce domaine, et de croiser leurs compétences (exemple : DU, DIU, DESC, formations continues).

Environnement médical

Les médecins assurent une place capitale dans l’évaluation initiale (diagnostic médical) et dans le suivi du patient (gestion du traitement). Il planifie et coordonne l’ensemble des interventions thérapeutiques. Il reçoit donc le patient en première intention et assure le liant entre les différents professionnels de santé. Cela peut aller de la chirurgie aux interventions non-médicales. C’est le référent du patient.

La gestion des traitements médicamenteux est un facteur clé dans la prise en charge de patients douloureux chroniques. Bien que des effets à court terme aient été démontrés, des limites apparaissent avec le passage à la chronicité de la douleur. D’autre part, la surconsommation médicamenteuse pose un vrai problème de santé publique. Elle peut entraîner des conséquences sur les dépenses de santé, mais également devenir source de risques secondaires (pulmonaires, cardiaques, rénaux, etc.) [5]. Par exemple, aux Etats-Unis, la consommation d’opioïdes a été multiplié par 8 entre 1999 et 2011, et elle est 5à 6 fois plus importante que la consommation de cocaïne ou d’héroïne [6], [7].

Environnement paramédical

Le système de santé propose différents corps de métier qui permettent au patient de bénéficier de soins adaptés. Cela comprend différents professionnels de santé comme les psychologues, les kinésithérapeutes, les infirmiers, ou les ergothérapeutes.

Les infirmiers sont également sollicités, notamment pour l’éducation à la gestion des traitements antalgiques. Ils participent activement aux stratégies de sevrage des opioïdes. Ils font partie intégrante de notre système de santé et  côtoient les patients au quotidien dans les différentes structures médicales ou externes.

Les ergothérapeutes recherchent l’autonomie et l’engagement des patients dans la vie quotidienne. Ils évaluent l’impact des douleurs chroniques dans les activités occupationnelles et professionnelles et proposent des aménagements pour permettre aux personnes douloureuses chroniques de réinvestir les tâches quotidiennes et professionnelles (gestion de l’activité, réorganisation ddu poste de travail, réaménagement de l’environnement, installation, aides techniques). Ils sont également formés à des techniques de rééducation des troubles de la sensibilité.

Les patients douloureux chroniques ont souvent une image corporelle altérée et une faible estime de soi. Les psychomotriciens évaluent les éprouvés corporels en lien avec la douleur, l’investissement corporel de la personne et son rapport affectif et émotionnel avec son corps. Ils proposent une approche globale permettant la réappropriation du corps et le retour à un équilibre psychocorporel dans un contexte de plaisir (à bouger, à ressentir, à être, à s’exprimer). Formés notamment aux techniques de relaxation, ils permettent aux patients de mieux gérer la douleur et les émotions associées.

Autres acteurs

Les psychologues sont indissociables de ces prises en charges. Devant ces contextes de chronicité, améliorer la condition du patient, c’est l’aider à changer de comportement, à mieux gérer ses émotions au quotidien, être dans l’acceptation. Les réactions de type stress, peur, évitement, sont des mécanismes reconnus comme favorisants la sensibilisation du système de la douleur. Enfin, de nombreuses conséquences de la douleur, comme les états de dépression, de mal-être, d’humeur triste, doivent être envisagées. L’évaluation d’un patient douloureux chronique par un psychologue peut apporter des informations pertinentes sur les stratégies à adopter dans sa prise en charge, ainsi qu’identifier des facteurs de risques potentiels de dégradation de l’état psychologique du patient.

 

Points clés des intervenants :

  • Le médecin : pose un diagnostic médical, coordonne les soins, gère la prise médicamenteuse ;
  • Le psychologue : évalue et aide le patient à gérer les états émotionnels, favorise l’acceptation et l’engagement, identifie de possibles troubles psychopathologiques ;
  • L’infirmier : éduque et informe le patient à la gestion médicamenteuse et aux comportements de santé, assure une présence tout au long du parcours de soin (hospitalisations, séjours externes, suivi libéral, etc.) ;
  • L’ergothérapeute : analyse l’impact des douleurs sur les activités de vie quotidienne et propose des outils d’aménagement ;
  • Le psychomotricien concoure au retour à un équilibre psychocorporel et à une réappropriation d’un « corps plaisir » ;
  • Le psychologue : évalue et aide le patient à gérer les états émotionnels, favorise l’acceptation et l’engagement, identifie de possibles troubles psychopathologiques ;
  • L’assistant social informe et aide la personne dans ses démarches administratives.

Mais n’oublions pas que :

  • Le patient est l’acteur central, majeur, l’expert de lui-même.
  • Il est primordial de le laisser s’exprimer pour aider le thérapeute à identifier les croyances en lien avec la douleur ainsi que les attentes du patient [7, 8].

Environnement socio-professionnel

Face à un contexte aussi multifactoriel que la douleur chronique, le quotidien du patient doit être discuté.

  • L’environnement familial du patient est un facteur à prendre en compte. Cela permet de mieux comprendre le patient dans son contexte quotidien, de mieux cerner le comportement des autres faces à ses difficultés, et de l’aider à mieux appréhender sa douleur chronique vis-à-vis de son entourage.
  • L’environnement professionnel du patient est un autre aspect de son quotidien important. Aborder le patient dans son travail, c’est établir les contraintes auxquelles il s’expose en quasi-permanence (physiologique, psychologique, sociale), mais c’est aussi entrevoir la possibilité d’actions thérapeutiques par identification, aménagement, ajustement.
  • La société, de manière générale, influence le vécu de la douleur, nos représentations et nos croyances. Nous avons donc un rôle prépondérant dans l’échange, la diffusion de l’information, afin de sensibiliser la population aux différents aspects de la douleur chronique et des solutions pertinentes que l’on peut y apporter.

Proposition d’un modèle patient-centré dans la douleur chronique

 

Des programmes sur le terrain

En 1997, la British Pain Society a proposé des programmes innovants pour répondre à une demande de plus en plus croissante de patients atteints de douleurs chroniques non évolutives de l’appareil locomoteur. Au fil des années, de nombreuses recommandations sont apparues quant à l’utilisation de « Pain Management Program », par exemple :

  • Les « Recommended guidelines for Pain Management Programs for adults » de la British Pain Society [8] ;
  • Les « Task Force on Comprehensive Pain Rehabilitation » de l’IASP ;

Aujourd’hui, ces programmes se sont installés dans le paysage hospitalier français. Les « PMP » proposent une aide face aux différentes interactions, physiologiques, psychologiques, et sociales. Ils sont composés de quatre parties principales : gestion des traitements médicaux, thérapies comportementales, reconditionnement physique à visée fonctionnelle, et programme d’éducation à la douleur [9]. Ces programmes fonctionnent sous forme de stages intensifs de plusieurs heures, en groupe, encadrés par des professionnels de santé de divers horizons (kinésithérapeutes, médecins, psychologues, infirmiers). Généralement, ils sont formés aux Thérapies Cognitivo-Comportementales, ou à l’Education Thérapeutique du Patient.

Des réseaux de professionnels libéraux existent, ce qui permet de proposer une alternative aux structures hospitalières. Ces réseaux regroupent des professions de santé dont l’objectif est d’apporter une aide aux patients atteints de douleurs chroniques. Parfois, ces réseaux exigent un certain niveau de formation pour harmoniser les pratiques.
Au niveau du financement, des organismes comme l’Agence Régionale de Santé dans le cadre de l’Education Thérapeutique du Patient permettent de faire bénéficier aux professionnels de santé de moyens économiques (exemple : http://occitanie.ars.sante.fr).

 

Des associations de regroupement

De nombreuses associations de recherche et de diffusion sur la douleur chronique existent.
En voici quelques-unes :

  • IASP (International Association for the Study of Pain) ;
  • BPS (British Pain Society) ;
  • AHRQ (Agency for Healthcare Research and Quality) ;
  • SFETD (Société Française d’Etude et de Traitement de la Douleur) ;

Des professionnels de santé français se sont également regroupés au sein du Groupe d’Intérêt de la Douleur, sous-groupe de la Société Française de Physiothérapie, dans le but de promouvoir des techniques émergentes de prise en charge de la douleur chronique (exemple : éducation à la neurophysiologie de la douleur, thérapie miroir, imagerie motrice progressive, etc.). Le but est aussi de favoriser l’évolution de notre profession vers une approche biopsychosociale, adaptée aux problématiques du patient.

 

Conclusion

L’ampleur et la complexité de la douleur chronique doivent nous inciter à réfléchir à travailler différemment. Nous devons faire évoluer nos pratiques vers une prise en charge multidisciplinaire pour aborder les différentes modalités de la douleur du patient. Il n’y a pas de liste exhaustive à la mise en place d’un travail de qualité pluri-professionnel, bien que des réseaux ou des associations existent.

Les kinésithérapeutes font partie de ces équipes pluridisciplinaires, il est donc fondamental de chercher à :

  • Travailler avec les autres professionnels de santé ;
  • Comprendre ce que peuvent apporter les autres professionnels de santé et comprendre comment ils nous perçoivent ;
  • Communiquer sur ce que nous pouvons faire et sur ce que nous pouvons apporter au patient.

 

Bibliographie

[1] Breivik H, Collet B, Ventafridda V, et al. Survey of chronic pain in Europe : Prevalence, impact on daily life, and treatment. European Journal of  Pain 2006. 10(4):287-333
[2] Schoplocher D, Taenzer P, et Jovey R. The prevalence of chronic pain in Canada. Pain Res Manage 2011; 16(6):445-450
[3] Van Middlekoop M, Rubinstein SM, Kuijpers T, et al. A systematic review on the effectiveness of physical and rehabilitation interventions for chronic non specific low back pain. European Spine Journal 2011. 20(1):19-39
[4] Kamper SJ, Apeldoorn AT, Chiarotto A, et al. Multidisciplinary biopsychosocial rehabilitation for chronic low back pain (review). Cochrane Database of Systematic Reviews 2015.
[5] Patrick SW, Fry CE, Jones TF, et Buntin MB. Implementation of prescription Drug Monitoring Programs Associated with reductions in opioid related death rates 2016. 35(7):1324-32
[6] Phillips JK, Ford MA, et Bonnie RJ. Pain management and the opioid epidemic : balancing societal and individual benefits and risks of prescription opioid use. National Academies of Sciences, Engineering, and Medecine; Health and Medecine Division; Board on Health Sciences Policy; Committee on Pain Management and Regulatory Strategies to Adress Prescription Opioid Abuse 2017.
[7] Abrecht CR, Brovman EY, Greenberg P, et al. A contemporary medicolegal analysis of outpatient medication management in chronic pain. Anesthesia and Analgesia 2017. 125(5):1761-1768
[8] British Pain Society. Guidelines for pain management programs for adults. An evidence-based review prepare don behalf of the British Pain Sosciety 2013.
[9] Morel Fatio M. Pain management program, une nouvelle référence pour la médecine physique de réadapatation. Douleurs Evaluation – Diagnostic – Traitement 2016, 17, 53-60.

GI Douleur

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