Spécificité de l’Evaluation Psychologique :
Intérêt, limites, mise en pratique
Auteur | Rubrique de cours | Relecteur | Responsable |
Mathis Laforêt | Evaluation de la douleur | Siloe CORVIN Sophie TAILLEFER |
Damien Aubert |
Introduction
Nous savons depuis maintenant quelques années que la douleur est influencée par de nombreux facteurs, qu’ils soient psychologiques (stress, dépression) sociaux (difficulté dans la vie de famille ou au travail, qualité de vie, alimentation) physiques (charge de travail, mouvements répétitifs). Et nous avons également remarqué que ceux-ci étaient généralement associés à un risque de chronicité des douleurs plus élevés [1].
C’est pourquoi la rééducation s’est elle aussi adaptée pour prendre en compte l’ensemble de la composante douloureuse et que les recommandations parlent maintenant d’approches biopsychosociales. Cela pose cependant un problème car les kinésithérapeutes ne sont pas encore familiers avec l’ensemble de ces données, de ces outils [11] [12].
Il peut paraître tout à fait difficile d’évaluer une composante psychologique pertinente. Pire, par manque d’expérience ou de connaissance sur le sujet, des amalgames peuvent être constatés quand à une surévaluation ou une stigmatisation de la composante psychologique, dès lors qu’il semblerait y avoir un impact significatif sur la douleur du patient [3].
La mise en place d’une évaluation plus cadrée avec notamment l’utilisation de questionnaire peut permettre de limiter ce genre de problématique.
Présentation des questionnaires
Sur tous les questionnaires existants, 5 ont été sélectionnés pour leur rapidité et leur adaptation française ayant fait l’objet d’une validation :
- 3 pour mesurer la dépression : le BDI, le GHQ 12 et le HAD ;
Chacun a ses avantages, toutefois ils ne permettent pas de mesurer le niveau de dépression, il faut pour cela réorienter vers un spécialiste ;
- Les 2 autres sont un peu plus spécifiques, le brief IPQ permet d’évaluer la perception qu’a le patient de sa pathologie, et le PCS pour mesurer son niveau de catastrophisme ;
Il n’existe pas de règles applicable 100% du temps, dans 100% des cas, pour savoir quel questionnaire utiliser avec le patient, cela dépend entre autres de l’expérience du praticien, des attentes de l’individu concerné, et du contexte environnemental pour déterminer quel est ou quels sont les éléments cliniques les plus pertinents chez le patient, et celui sur lequel il peut être envisagé un travail commun ;
Questionnaire abrégée de Beck (BDI) [5] [9]
Permet de détectter une dépression.
Avantage : c’est un des questionnaires les plus utilisés, ce qui est très utile quand il faut référer un patient vers un spécialiste.
Limites : non validé pour évaluer l’intensité de cette dépression il faudra réorienter le patient vers un spécialiste.
Brief Illness Perception Questionnaire (Brief IPQ) [8]
Questionnaire pour connaître la perception qu’a le patient de sa pathologie.
Avantage : validé dans sa version complète.
Limites : dans notre pratique quotidienne le IPQ n’est pas vraiment utilisable car trop long.
Questionnaire PCS (mesurable grâce au Pain Catastrophizing Scale) [10]
Pour évaluer l’attitude de catastrophisme du patient sur les trois plans : rumination (« je ne peux pas arrêter de penser à quel point ça fait mal « ), grossissement ( » Je crains que quelque chose de grave puisse m’arriver « ), et impuissance ( » C’est affreux et je sens que cela me submerge »).
Avantages : le seul qui permet de mesurer cela.
Limites : prend du temps.
Général Health Qestionnaire 12 (GHQ 12) [6]
Permet de détecter une dépression également.
Avantages: souvent utilisé et validée sur des patients souffrant de lombalgie chronique.
Limites : plutôt utilisé en milieux hospitaliers.
Hospital Anxiety And Depression Scale (HAD)
Pour détecter l’anxiété et la dépression.
Avantages : le plus rapide 1 minutes seulement.
Limites : pas le plus fréquent, à aborder prudemment.
Fear Avoidance and Belief Questionnaire (FABQ)
Développé pour évaluer les peurs et croyance liées aux activités physique et à son travail.
Avantages : permet de voir l’association positive ou négative que fait le patient entre ses activitées et sa douleur.
Limites : il ne semble fiable que sur une population de lombalgique chronique.
Chacun des questionnaires précisent que l’on ne peut pas exclure ou inclure un problème psychologique, seulement donner un signal d’alarme.
Mise en pratique
Nous allons essayer de voir à quel moment et comment aborder ces questionnaires avec les patients.
Tout d’abord comme cela est précisé dans le CIM10 de l’OMS [13] « il est important de rechercher le plus précocement possible le diagnostic d’une pathologie psychogène qui pourrait être à l’origine d’une douleur chronique ». Par ailleurs, ils précisent qu’un problème psychologique installé depuis plus de 1 ou 2 ans sera plus résistant à tout traitement.
En partant de ce fait, il semble important de réaliser une évaluation abordant l’aspect psychologique, plus poussée, dans les premières séances :
- pour réorienter et prendre en charge de manière adaptée la problématique psychologique le plus vite possible et éviter qu’elle ne s’installe plus durablement.
- pour prévenir toutes possibles résistances majeures au cours de notre propre prise en charge, risquant d’une part d’aboutir à une inefficacité totale de notre stratégie thérapeutique et d’autre part, la perte de l’alliance thérapeutique construite avec le patient.
L’autre point important est de savoir comment évoquer ce sujet avec le patient. Cela reste un sujet souvent assez délicat de part les représentations sociales autour du terme « psychologie » et des questions inhérentes à ce thème, et de part le fait que les patients n’ont pas nécessairement comme première attente d’une consultation kinésithérapique l’abord de la composante affective, émotionnelle, perceptive, etc. De manière compréhensible, ils pourrait tout à fait en conclure rapidement que nous ne prenons pas au sérieux leur pathologie, et que nous écartons une origine plus « biologique » de leur douleur. Il faut s’assurer que le patient comprenne un minimum l’intérêt et l’importance de l’origine multifactorielle de sa douleur et en quoi appréhender l’ensemble de ces facteurs pourrait l’aider. A côté du savoir, le savoir-faire y occupe une place prépondérante.
Intérêt
Comme vu dans l’introduction un des points difficiles pour un kinésithérapeute est d’évaluer l’importance de la composante psychologique, cela pour plusieurs raisons :
– nous sommes peu formé sur le sujet [2], d’autant plus que c’est une discipline spécifique qui demande un long temps d’apprentissage. De plus, comme vu précédemment, le praticien a tendance à stigmatiser cette facette du patient [3] à plus forte raison s’il se retrouve en situation d’échec thérapeutique. Faire passer un questionnaire au patient pour avoir un élément objectif permet d’éviter au thérapeute d’omettre certains éléments indispensables ;
– actuellement, en rééducation il est prôné une participation active du patient son traitement. Concernant l’aspect psychologique, le premier travail que l’on peut mener c’est tout simplement de discuter avec lui. Certes le sujet peut être assez difficile à aborder, les patients pouvant se sentir non compris, paradoxalement non écouté, où l’on négligerait leur composante « bio », laissant place à un message réduit à : « on me dit que mes douleurs sont dans ma tête ». Un des moyens pour éviter au mieux ce genre de situation est d’introduire le thème à partir des résultats d’une évaluation objectivée. En effet cela peut donner au patient l’impression d’un avis plus extérieur et non subjectif.
– enfin, ce type d’évaluation permet de pouvoir échanger relativement facilement avec d’autres professionnels de santé. Comme pour tous les questionnaires, le fait d’avoir un résultat objectif et reproductible entre thérapeute est quelque chose de primordial pour le suivi. Mais en plus de cela, il peut être difficile pour un kinésithérapeute d’échanger avec un psychologue, étant donné nos lacunes dans ce milieu. C’est pourquoi les résultats d’une ou deux évaluations seront souvent beaucoup plus parlantes et claires pour décrire l’état de notre patient à un spécialiste et s’il y a besoin de lui réorienter.
Limites
Une des premières limites de ces questionnaire courts que nous avons choisi, et qu’ils ne sont pas assez précis pour diagnostiquer une pathologie, notamment l’anxiété ou la dépression.
En effet pour réaliser un diagnostic, il faut en général des questionnaires plus poussés, et les connaissances et l’expérience du thérapeute dans ce domaine [8].
De même, certaines études ont montré que ces outils pouvaient souvent être quelques peu biaisés chez des gens qui ont des douleurs chroniques, car leurs problèmes somatiques pouvaient se confondre avec leurs symptômes psychologiques [9].
Pour ces deux points, il sera nécessaire de réorienter vers un spécialiste, qui sera plus à même de diagnostiquer la pathologie, de quantifier son niveau et de suivre l’évolution. En effet le score pouvant être impacté par des composantes somatiques, il peut être difficile pour un praticien peu expérimenté de faire la différence entre une évolution seulement somatique ou associée à la dominante psychologique.
La dernière limite à tous ces questionnaires est le temps que nous avons pour réaliser l’évaluation de nos patients, même si ces questionnaires sont assez rapides (entre 1 et 5 min maximum), nous avons besoin d’explorer un ensemble de caractéristiques variés en lien avec la douleur.
Les patients avec des composantes psychologiques peuvent souvent se situer en échec thérapeutique à cause de la difficulté qu’ont les kinésithérapeutes à évaluer ce type de pathologie. C’est pourquoi, classifier dès le départ et s’entourer d’autres professionnels de santé, peut être un gain de temps indéniable pour la suite.
Conclusion
La dimension psychologique d’une personne peut être évaluée par de nombreux outils, qui peuvent aider le praticien à se faire un avis plus objectif sur cet aspect de la douleur, qui est souvent difficile à gérer en situation pratique.
Cependant l’expertise du clinicien reste indispensable pour savoir quel examen effectuer et comment l’intégrer au traitement.
Idées clés :
- Savoir quand et avec quels questionnaires évaluer les facteurs psychologiques.
- L’utilisation de ces questionnaires permet d’avoir un avis plus objectif et de faciliter la relation thérapeute-patient indispensable pour le soin.
- La psychologie reste un domaine complexe et de simple questionnaire ne permettent en rien de diagnostiquer et traiter seul un patient. Ils permettent de s’entourer plus facilement pour aider le patient.
Bibliographie
[1] Fayad, F, M.M Lefevre-Colau, S Poiraudeau, J Fermanian, F Rannou, S Wlodyka Demaille, R Benyahya, et M Revel. « Chronicité, récidive et reprise du travail dans la lombalgie : facteurs communs de pronostic ». Annales de Réadaptation et de Médecine Physique 47, no 4 (mai 2004): 17989. https://doi.org/10.1016/j.annrmp.2004.01.005.
[2] Cordier, Céline. « Croyances et attitudes des professionnels de la santé face au mal de dos chronique ». Kinésithérapie, la Revue 17, no 192 (décembre 2017): 39. https://doi.org/10.1016/j.kine.2017.09.056.
[3] Brunner, Emanuel, Wim Dankaerts, André Meichtry, Kieran O’Sullivan, et Michel Probst. « Physical Therapists’ Ability to Identify Psychological Factors and Their Self-Reported Competence to Manage Chronic Low Back Pain ». Physical Therapy 98, no 6 (1 juin 2018): 47179. https://doi.org/10.1093/ptj/pzy012.
[4] Pincus, Tamar, A. Kim Burton, Steve Vogel, et Andy P. Field. « A Systematic Review of Psychological Factors as Predictors of Chronicity/Disability in Prospective Cohorts of Low Back Pain »: Spine 27, no 5 (mars 2002): E10920. https://doi.org/10.1097/00007632-200203010-00017.
[5] Alsaleh, Muaweah, et Romain Lebreuilly. « Validation de la traduction française d’un questionnaire court de dépression de Beck (BDI-FS-Fr) ». Annales Médico-psychologiques, revue psychiatrique 175, no 7 (septembre 2017): 60816. https://doi.org/10.1016/j.amp.2016.06.015.
[6] Beaudreuil, J., D. Zerkak, J.-C. Métivier, A. Yelnik, et B. Fouquet. « Validation du GHQ-12 pour la mesure de la détresse psychologique au cours des lombalgies chroniques ». Annals of Physical and Rehabilitation Medicine 56 (octobre 2013): e13435. https://doi.org/10.1016/j.rehab.2013.07.276.
[7] Cedraschi, Christine. « Quels facteurs psychologiques faut-il identifier dans la prise en charge des patients souffrant de lombalgies ? Qu’en est-il de l’anxiété et de la dépression ? Quelles peurs et quelles représentations constituent-elles des écueils ? » Revue du Rhumatisme 78 (mars 2011): S7074. https://doi.org/10.1016/S1169-8330(11)70014-X.
[8] Leysen, Marijke, Jo Nijs, Mira Meeus, C. Paul van Wilgen, Filip Struyf, Alexandra Vermandel, Kevin Kuppens, et Nathalie A. Roussel. « Clinimetric Properties of Illness Perception Questionnaire Revised (IPQ-R) and Brief Illness Perception Questionnaire (Brief IPQ) in Patients with Musculoskeletal Disorders: A Systematic Review ». Manual Therapy 20, no 1 (février 2015): 1017. https://doi.org/10.1016/j.math.2014.05.001.
[9] Olaya-Contreras, Patricia. « Comparison between the Beck Depression Inventory and Psychiatric Evaluation of Distress in Patients on Long-Term Sick Leave Due to Chronic Musculoskeletal Pain ». Journal of Multidisciplinary Healthcare, septembre 2010, 161. https://doi.org/10.2147/JMDH.S12550.
[10] Sullivan, Michael J L, Scott R Bishop, et Jayne Pivik. « The Pain Catastrophizing Scale: Development and Validation », s. d., 9.
[11] Synnott, Aoife, Mary O’Keeffe, Samantha Bunzli, Wim Dankaerts, Peter O’Sullivan, et Kieran O’Sullivan. « Physiotherapists May Stigmatise or Feel Unprepared to Treat People with Low Back Pain and Psychosocial Factors That Influence Recovery: A Systematic Review ». Journal of Physiotherapy 61, no 2 (avril 2015): 6876. https://doi.org/10.1016/j.jphys.2015.02.016.
[12] Zangoni, Giacomo, et Oliver P. Thomson. « ‘I Need to Do Another Course’ – Italian Physiotherapists’ Knowledge and Beliefs When Assessing Psychosocial Factors in Patients Presenting with Chronic Low Back Pain ». Musculoskeletal Science and Practice 27 (février 2017): 7177. https://doi.org/10.1016/j.msksp.2016.12.015.
[13] ÉVALUATION ET SUIVI DE LA DOULEUR CHRONIQUE CHEZ L’ADULTE EN MÉDECINE AMBULATOIRE
ANAES / Service des Recommandations et Références Professionnelles / Février 1999
« PEC douleur.pdf », s. d.
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