Intégration et perception de la douleur :
les théories de la neuromatrice et des neurosignatures
Auteurs | Rubrique de cours | Relecteur | Responsable |
Romain BOUCHENOIRE Victor PERRIN |
La douleur est une perception | Jean-Charles FOURNIER | Nathan RISCH |
Introduction
Pour comprendre la douleur, les chercheurs se sont longtemps tournés vers l’hypothèse de l’existence d’un « centre de la douleur », en vain. Différents modèles de compréhension du traitement de la douleur se sont succédés passant progressivement d’une causalité linéaire de bas en haut, vers un modèle circulaire de rétro-action à chaque niveau d’intégration du message. La théorie de la neuromatrice est introduite par Ronald Melzack, lors de ses études sur les douleurs fantômes. C’est un modèle conceptuel qui explique le traitement, par différentes régions du cerveau, de l’ensemble des informations entrantes (ou inputs). Il décrit la douleur comme une expérience multidimensionnelle, résultant de « patterns » (ou modèles) d’activités neuronales spécifiques, générés par un ensemble de réseaux neuronaux. [1, 2, 3]
Neuromatrice / Neurosignature : théories
La neuromatrice, est un réseau neuronal étendu et localisé dans différentes régions du cerveau. Son rôle est de traiter en parallèle les différents types d’afférence sous forme de boucles cortico-thalamiques et cortico-limbiques. Chaque région de la neuromatrice traite de manière indépendante les différentes entrées sensorielles) avant de les mettre en commun. In fine, le traitement des afférences par la neuromatrice aboutit à une synthèse sensorielle globale – la neurosignature – qui donne la perception d’unité du corps et différencie chaque individu du reste du monde. [1, 2, 3]
La neurosignature se projette dans plusieurs zones cérébrales – nommé par Melzack « hub sensitif » – permettant d’intégrer le contexte émotionnel, affectif, et cognitif aux afférences sensorielles. Le hub traduit alors la synthèse des influx nerveux en un flux de conscience continue et amène ainsi la notion d’expérience vécue. [2]
La neurosignature est décrite comme un signal émis par notre cerveau (produisant de la douleur, ou du mouvement, ou une réaction de fuite, de protection, d’inhibition par exemple). Elle résulte du traitement des informations intérieures ou extérieures au corps, entrantes dans notre cerveau et traitées par la neuromatrice. L’ensemble des entrées sont traitées de manière cyclique et répétée au sein de la neuromatrice ; cette dernière produit ensuite un message unique auquel lui est apposé une signature propre. [1, 2, 3]
Par exemple : une douleur de l’orteil persistante chez un amputé du membre inférieur peut être générée par des processus cérébraux et peut ainsi être présente même en l’absence d’un membre et d’un stimulus externe.
Cette neurosignature est constituée de sous-signatures correspondant aux traitements spécialisés des différentes afférences (inputs), et ceci par des neuromodules ou sous-réseaux neuronaux. Ces derniers sont spécialisés dans le traitement des informations de différents types et impriment leurs sous-signatures sur la grande neurosignature (exemples : la mémoire, la proprioception, la température, le caractère social sur la neurosignature de la douleur).
La théorie de la neuromatrice suppose que les schémas de sortie de la neuromatrice activent les programmes perceptifs (sensation), homéostatiques (régulation) et comportementaux (protection) après une blessure, une pathologie, etc… La douleur est alors perçue suite à la sortie d’un réseau neuronal largement distribué dans le cerveau plutôt que directement par l’entrée sensorielle causée par une blessure, une inflammation ou une autre pathologie [2, 4].
Métaphore de la neurosignature
Moseley compare la théorie des neuro-signatures à des musiques qui seraient joués par un grand orchestre se trouvant dans notre tête. En effet cet orchestre professionnel est capable de jouer des centaines de musiques. La même musique peut être jouée avec différents tempo, en utilisant différents types d’accordages de l’instrument, avec des réinterprétations ou des improvisations, en faisant jouer la partition du pianiste au guitariste et inversement. Cette variété de possibilité représente la multitude d’interactions et de synapses possibles, soit une infinité de neurosignatures. [5]
La neurosignature de la douleur peut être imagée comme une des musiques qui est jouée par l’orchestre. Un bon orchestre est capable de jouer toutes les musiques de son répertoire et peut en apprendre de nouvelles facilement. Cependant s’il se met à répéter le même morceau, encore et encore, il est engrammé et devient automatique. Le groupe perd son originalité et sa créativité par manque de variété. La neurosignature de la douleur se renforce et s’auto-entretient, cela crée un cercle vicieux.
Bibliographie
[1] Melzack, R., 2001. Pain and the Neuromatrix in the brain. Journal of dental education,65(12), pp1378-1383
[2] Melzack R. Evolution of the Neuromatrix Theory of Pain. The Prithvi Raj Lecture : Presented at the Third World Congress of World Institute of Pain, Barcelona 2004. Pain Pract 2005;5:85–94.
[3] Le cerveau à tous les niveaux. [En ligne] http://lecerveau.mcgill.ca/flash/a/a_03/a_03_cr/a_03_cr_dou/a_03_cr_dou.html
[4] Butler DS, Moseley L (2017). Explain pain Supercharged. Adelaide, Australia : NOIgroup. p 19-33
[5] Butler DS, Moseley L (2013). Explain pain. Adelaide, Australia : NOIgroup. p 38-41
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