Parler pour motiver

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L’Entretien Motivationnel

Auteur Rubrique de cours Relecteur Responsable
Camille Leteurtre Moyens Thérapeutiques Jan-Hendrik Maitre Jan-Hendrik Maitre

 

Introduction

Définition

L’Entretien Motivationnel (EM) est  un  style  de  conversation  collaboratif  visant  à  renforcer  la  motivation propre d’une personne et son engagement vers le changement [1 ; 2].

 

L’EM face à la douleur persistante

Quelle que soit la pathologie, le rôle du kinésithérapeute est d’accompagner le patient dans les changements nécessaires à la récupération de la fonction et l’apaisement de la douleur. Dans le cadre de la douleur persistante, nous avons vu que ces changements concernent les perceptions, les croyances, l’estime de soi, la mobilité, et le mode de vie du patient [3-5]. L’EM n’est pas un « moyen thérapeutique » isolé. C’est un outil conversationnel qui s’intègre à toutes les approches précédemment citées. Il vise à accroitre l’adhésion du patient au traitement, pour assurer sa réussite sur le court et le long terme.

Pourquoi ?

Nous le savons tous, changer est une tâche complexe, notamment lorsque s’y mêle un sentiment d’ambivalence. Ce sentiment est souvent lié aux peurs et croyances encrées chez le patient du fait de son expérience de la douleur et de son parcours de soin parfois très  long.  L’éducation  à  la  douleur  du  patient  va  le  placer  dans  une  situation  de  dissonance cognitive : c’est à dire une situation de contradiction entre ses cognitions (pensées / émotions) et son comportement [2].


« Je sais que bouger plus me ferait du bien » … dit la personne qui vit en verrouillage lombaire.

« Je sais que fumer augmente le risque de cancer, réduit les capacités physiques, etc. » …
dit le fumeur.

« J’ai bien vu que ces exercices me faisaient du bien » … dit le patient qui ne fait pas ce qu’on lui à propos.

Vous  lui  avez  pourtant  dit / expliqué / démontré / réexpliqué, etc.!  Pourquoi  le  patient  ne change-t-il pas ? Parce que malgré sa connaissance des risques à ne pas changer, il reste en débat intérieur avec lui-même : pour ou contre le changement ? L’idée du changement et sa mise en pratique sont 2 étapes très différentes. Un outil à disposition du thérapeute pour guider le patient dans l’application du changement est l’EM en l’amenant à exprimer lui-même:

  • ses arguments et raisons pour le changement ;
  • la  planification  de  celui-ci,  en  creusant  dans  ses  propres  ressources  et  expériences.

« On se persuade mieux, pour l’ordinaire, par les raisons qu’on a soi-même trouvées, que par celles qui sont venues par l’esprit des autres »
B.Pascal, Pensées.

 

L’EM et l’importance du style conversationnel dans la relation soignant-soigné

Nous sommes très réceptifs aux formes du langage. Elles peuvent manifester de la réticence, du désir ou bien de l’engagement. Dans le cadre d’une relation soignant-soigné, différents styles conversationnels existent [1,2].

Diriger                                    Guider                           Suivre

 

Le style « Diriger ». Il laisse peu de place au patient. Le soignant informe sans en demander l’autorisation, il propose les solutions et définit lui-même le plan d’action. L’échange est subi par le soigné, qui peut se sentir incompris et submergé, voire jugé.

Le style « Suivre ». Le soignant écoute le patient. Il exprime de l’empathie mais ne rebondit  pas  sur  les  propos  du  patient.  L’échange  est  mené  par  le  soigné,  qui  peut  se  sentir abandonné.

Le style « Guider ». Le soignant écoute avec empathie également. Il pose des questions pour  faire approfondir certains points par le soigné. Lui renvoie une image de ce qui a été dit. Il demande l’autorisation d’informer. L’échange est égalitaire. Le soigné se sent en- tendu, compris et soutenu.

 

Question

Laquelle de ces propositions correspond à un style motivationnel ? Quelles émotions/réactions suscitent ces réponses chez le soigné ?

« Je voudrais refaire du sport mais j’ai peur de me faire mal »

 

a- « Il ne faut pas avoir peur, votre dos ne présente aucun risque ! Dès demain, vous allez prendre votre vélo pour aller au travail. »

b- « Je comprends que certains efforts puissent paraître difficile c- « Je comprends que certains efforts puissent paraître difficiles, et pour autant vous savez que l’activité physique serait une bonne chose pour vous. Que vous sentiriez vous capable de faire dans un premier temps ? »

c- « Je comprends que certains efforts puissent paraître difficiles, et pour autant vous savez que l’activité physique serait une bonne chose pour vous. Que vous sentiriez vous capable de faire dans un premier temps ? »

 

Le réflexe correcteur

En tant que professionnel de santé, notre motivation à aider l’autre est altruiste. Malheureusement, dans notre désir de faire le bien, nous allons naturellement être amenés à formuler nous-mêmes les arguments au changement. Mais cela selon nos propres représentations ! Le désir de vouloir aider l’autre, nous pousse souvent à être trop directifs. Ce type de discussion diminue l’autonomie du patient. Sa réaction naturelle va être de contre-argumenter en renforçant les arguments du non-changement.

 

« Si vous voulez ne plus avoir mal aux genoux, il faut que vous ré-entraînez vos muscles en utilisant les escaliers plutôt que l’escalator, en descendant une station de bus plus tôt, en faisant une activité physique quotidienne etc. »

« Cela me demanderait trop de temps, je risquerais d’être en retard au travail. Et j’arriverais déjà épuisé »

 

Ce désir de réparer ce qui nous semble ne pas fonctionner en imposant une solution s’appelle le réflexe-correcteur. Dans la pratique de l’EM, ce réflexe contre-productif est à éviter.

L’ambivalence

Dans le cadre du changement, l’ambivalence correspond au fait d’exprimer des raisons de changer, et en même temps, des raisons de ne pas le faire. C’est une expérience humaine normale, une étape sur le chemin du changement. Et souvent un point de blocage.

 

« Je voudrais arrêter de fumer pour mes enfants, mais tous mes collègues fument et je ne résiste pas à l’envie. »

« Je sais que pour mon diabète il faut que je régule mon alimentation, mais j’aime beaucoup trop manger.»

« Le précédent kiné m’a dit qu’il fallait que je fasse plus d’exercice physique, mais entre le travail, les enfants, etc. je n’ai pas le temps. »

« Je voudrais réussir à bouger plus, mais j’ai peur de me faire mal. La dernière fois que j’ai fait des exercices, la douleur s’est empirée. »

 

Face à cette ambivalence, l’EM a pour but d’accompagner le patient vers un « discours-changement », plutôt que de renforcer un « discours-maintien ». C’est à dire l’amener à exprimer son ambivalence, puis l’aider à renforcer ses propres raisons au changement. C’est ici que le thérapeute doit réprimer son réflexe correcteur : si le soignant argumente en faveur du changement, le patient risque d’argumenter en faveur du maintien.

 

L’esprit motivationnel

L’EM n’est en aucun cas de la manipulation. Sa pratique se réalise en respectant 4 valeurs essentielles, qui devraient être considérées dans toutes situations de soin.

Le partenariat : nous avons vu qu’il s’agit d’un style conversationnel guidé. L’EM est un partenariat entre 2 experts : le soignant est l’expert de son domaine, le soigné celui de sa personne [3]. Une alliance entre les 2 experts se créer.

Le non-jugement : le soignant n’est pas un juge. Le non-jugement est l’acceptation de ce que le patient apporte, sans notion d’approbation ou de désapprobation. Il est une combinaison d’empathie, de valorisation et de respect de l’autonomie du patient dans ses décisions.

L’altruisme : être altruiste, c’est promouvoir de façon active le bien-être de l’autre, donner priorité à ses besoins [1].

L’évocation : c’est-à-dire considérer que la personne a en elle-même les ressources pour changer. L’intervenant est là pour l’aider à les faire émerger, et non pour lui donner/imposer des solutions [3].

Les outils : OuVER

Lors de la pratique de l’EM, divers outils sont utilisés. Nous allons les citer :

Poser  des  questions  ouvertes.  Les  questions  fermées  (par  lesquelles  il  n’est  possible  de répondre que par oui ou par non) sont parfois utiles. Cependant, elles restreignent la liberté d’expression du patient. Ici le patient doit être amené à réfléchir et à s’exprimer. Ne pas couper la parole est un point important.

Valoriser. La valorisation c’est soutenir et encourager. Elle doit être sincère. Le risque est parfois de tomber dans le jugement. Valoriser peut être reconnaître les qualités de la per- sonne, souligner les étapes déjà franchies, etc. Cela permet également de renforcer l’engagement dans la relation

L’écoute réflective. C’est à dire écouter, attentivement et avec empathie, puis refléter ce que le patient a exprimé. Les reflets verbaux permettent une introspection qui fera avancer la discussion.

Résumer. Réaliser un résumé permet de valider que vous avez bien compris ce que le patient souhaite exprimer. Cela aide également la personne à porter un regard d’ensemble sur ce qu’elle a dit

Informer et conseiller. C’est bien sûr le rôle du soignant que de fournir de l’information à son patient, voire des conseils. Cependant la façon dont cette information est amenée est très importante. Il faut éviter les pièges tels que donner de l’information non demandée, pour corriger une croyance ou un comportement. Le patient risque ainsi de se sentir jugé ou incompris et donc de se désengager.

Question

Pouvez-vous pratiquer ces outils ?
Transformez ces questions fermées, en questions ouvertes :

  • Voulez-vous reprendre le sport ? à Qu’est-ce que le sport représente pour vous ?
  • Vous avez mal au dos ? à Quels impacts cette douleur a-t-elle sur votre vie ?

Donnez une réponse valorisante à cette affirmation :

  • J’ai essayé plein de traitements, rien ne fonctionne ! à  Vous avez une réelle volonté d’améliorer les choses ! Et c’est ce qui vous amène ici aujourd’hui, bravo de ne pas abandonner !

Faites un reflet :

  • Je voudrais pouvoir faire du foot avec mes enfants, mais mon dos me fait mal à Ce mal de dos vous restreint dans votre engagement familial et vous vous souciez du bien-être de vos enfants.
  • Je  sais  que  si  je  passe  l’aspirateur  je  vais  avoir  mal  pendant  2  heures,  alors j’évite. Pareil pour les courses que je dois porter, ou cuisiner pour des amis. J’évite tout. à Vous avez perdu confiance en votre dos.

Amenez l’information :

  • Je sais que l’activité physique me permettrait d’avoir moins mal, mais je n’arrive pas à être régulier. à Vous avez raison. Est-ce que vous voulez que je vous explique pourquoi le dosage et la régularité de l’exercice sont importants ?

 

Conclusion

  • L’EM permet d’améliorer l’adhésion du patient au traitement, et de renforcer l’impact des autres outils utilisés.
  • Ce style relationnel amène le patient à exprimer et mettre en œuvre ses propres ressources.
  • Le thérapeute doit apprendre à maitriser son réflexe correcteur.
  • Les  valeurs qui font l’esprit motivationnel devraient intégrer toutes nos séances.

Bibliographie

[1] Miller W et Rollnick S. L’Entretien motivationnel : aider la personne à engager le changement, Paris, InterEditions, coll, 2006, 300 p.
[2] Miller W, Rollnick S, Butler C. Pratique de l’entretien motivationnel : Communiquer avec le patient en consultation, Paris, InterEditions, 2018, 255 p.
[3] Aguerre C, et al. Spécificités de l’entretien motivationnel dans le cadre d’une prise en charge cognitivo-comportementale de la douleur chronique. Encéphale, 2014.
[4] L’entretien motivationnel : pour une relation soignant-patient de qualité. Revue Prescrire, 2010 ; 30 (325) : 841.
[5] Alperstein A et Sharpe L. The Efficacy of Motivational Interviewing in Adults With Chronic Pain A Meta-Analysis and Systematic Review. The Journal of Pain, 2016 ; 4 (17) : 393-40.

 

 

 

 

GI Douleur

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