Utiliser l’hypnose en kinésithérapie

Utiliser l’hypnose en kinésithérapie

Intérêt de l’hypnose en pratique kinésithérapique dans le cadre de la prise en charge de la douleur chronique

Auteur Rubrique de cours Relecteur Responsable
Théo Chaumeil Moyens Thérapeutiques   Jan-Hendrik Maitre

Définition

L’American Psychological Association (APA) définit l’hypnose de la manière suivante : «a state of consciousness involving focused attention and reduced peripheral awareness characterized by an enhanced capacity for response to suggestion »

Dans le langage courant, l’hypnose recouvre une définition double : le terme désigne à la fois un état de conscience modifié (la transe hypnotique) et la procédure par laquelle on arrive à cet état modifié de conscience[1].

L’absence de marqueur neurobiologique précis caractérisant l’état d’hypnose a longtemps rendu sceptiques les chercheurs. Cependant, depuis ces dernières décennies, les avancées des neurosciences (et notamment des nouvelles technologies d’exploration du cerveau) ont permis de nombreuses découvertes sur le fonctionnement de notre cerveau et l’hypnose est aujourd’hui reconnue de manière grandissante dans la communauté scientifique internationale[2].

Les applications de l’hypnose

Les applications de l’hypnose sont multiples et dépendent des objectifs fixés[3]:

  • L’hypnose médicale : afin de diminuer certains symptômes comme la douleur (hypnoanalgésie), le stress en lien avec la pathologie de la personne ou induit par les soins médicaux, ou peut aussi être utilisée dans le domaine des pathologies psychiatriques (addictions, stress post traumatique, etc) ;
  • L’hypnothérapie : comme outil de psychothérapie pour aider à la modification des comportements et/ou des cognitions ;
  • La communication hypnotique : permettant de développer un mode de communication notamment basé sur l’usage de suggestions visant à améliorer la communication thérapeute-patient et à créer ou renforcer l’alliance thérapeutique ;
  • L’hypnose expérimentale : permettant l’étude du fonctionnement du cerveau et entre autre de la conscience, des émotions et des sensations.

Dans cette fiche de synthèse, nous nous centrerons uniquement sur l’hypnose médicale appliquée à la kinésithérapie dans le cadre de la gestion de la douleur chronique.

Hypnose et douleur

Comme nous l’avons vu dans une autre fiche, la douleur est multidimensionnelle. Elle englobe trois composantes différentes : la dimension sensori-discriminative, affectivo-motivationnelle et cognitivo-évaluative[4]. Les suggestions hypnotiques analgésiques impliquent donc des mécanismes de modulation de la douleur agissants à différents niveaux[2] :

  • Au niveau central, elles agissent sur la matrice de la douleur en modifiant principalement l’activité du cortex cingulaire antérieur[5] ;
  • Au niveau spinal, elles diminuent le réflexe de flexion nociceptif[6] ;
  • Au niveau périphérique : elles ont la capacité de moduler l’afférence nociceptive en diminuant la stimulation des fibres C et A-delta[7].

Plusieurs revues systématiques ont montré l’intérêt de l’hypnose dans le cadre de la gestion de la douleur aiguë[8,9] et de la douleur chronique[10,11].

De plus, l’hypnose a montré des résultats intéressants dans le cadre de pathologies chroniques prise en charge régulièrement en kinésithérapie comme la lombalgie chronique[12,13], les migraines et les céphalées[14,15], les douleurs arthrosiques[16], les douleurs temporo-mandibulaires[17,18], la sclérose en plaque[19–22] ou encore la fibromyalgie[23].

Dans ces études, l’intensité de la douleur correspond au critère principal le plus souvent étudié. Néanmoins, il semblerait que l’hypnose puisse avoir des effets sur d’autre facteurs comme le sommeil [10] (notamment sur l’endormissement, la capacité à se rendormir lors d’un réveil en pleine nuit ou encore la sensation d’être reposé après une nuit de sommeil) ou encore le catastrophisme en augmentant l’espoir du patient ainsi que son impression de contrôle sur la douleur [20].

Intérêts de l’auto-hypnose

Plusieurs études ont montré l’intérêt de l’auto-hypnose [15,20,22,24] dans la diminution de l’intensité de la douleur. Cette utilisation autonome et individuelle de l’outil qu’est l’hypnose permet ainsi d’augmenter les stratégies de « coping » (stratégies de gestion de la douleur) et semble particulièrement intéressant lorsque l’on connaît l’impact du sentiment d’auto-efficacité dans le cadre de la douleur chronique[25].

Sécurité de l’hypnose et recherche future :

Concernant la sécurité de l’hypnose, le rapport de l’INSERM[26] a montré qu’aucun effet indésirable n’a pu être imputé à l’hypnose dans les essais publiés.

Ce rapport pointe cependant du doigt les limites méthodologiques de certaines études (impossibilité du double-aveugle, manque de standardisation des protocoles, etc) et la nécessité de trouver de nouveaux moyens d’évaluer l’hypnose de manière pertinente (notamment en recourant à des méthodologies qualitatives afin de déterminer les critères de jugement les plus pertinents pour réaliser les études quantitatives).

Conclusion

L’hypnose est une technique utile dans la gestion de la douleur. Sa sécurité (pas d’effet indésirable) et la possibilité d’utiliser l’outil de manière autonome pour le patient (auto-hypnose) font de l’hypnose une technique intéressante dans une prise en charge biopsychosociale de la douleur persistante.

Bibliographie

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[2] G. De Benedittis, “Neural mechanisms of hypnosis and meditation,” J. Physiol. Paris, vol. 109, no. 4–6, pp. 152–164, 2015.
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[11] G. Elkins and M. Jensen, “Hypnotherapy for the management of chronic pain,” Int. J. Clin. Exp. Hypn., vol. 55, no. 3, pp. 1–9, 2007.
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[13] G. Tan, T. Fukui, M. P. Jensen, J. Thornby, and K. L. Waldman, “Hypnosis treatment for chronic low back pain,” Int. J. Clin. Exp. Hypn., vol. 58, no. 1, pp. 53–68, 2010.
[14] D. C. Hammond, “Review of the efficacy of clinical hypnosis with headaches and migraines,” Int. J. Clin. Exp. Hypn., vol. 55, no. 2, pp. 207–219, 2007.
[15] D. P. Kohen and R. Zajac, “Self-Hypnosis Training for Headaches in Children and Adolescents,” J. Pediatr., vol. 150, no. 6, pp. 635–639, 2007.
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[20] M. P. Jensen et al., “Effects of self-hypnosis training and cognitive restructuring on daily pain intensity and catastrophizing in individuals with multiple sclerosis and chronic pain,” Int. J. Clin. Exp. Hypn., vol. 59, no. 1, pp. 45–63, 2011.
[21] F. Hosseinzadegan, M. Radfar, A. R. Shafiee-Kandjani, and N. Sheikh, “Efficacy of Self-Hypnosis in Pain Management in Female Patients with Multiple Sclerosis,” Int. J. Clin. Exp. Hypn., vol. 65, no. 1, pp. 86–97, 2017.
[22] M. P. Jensen et al., “A comparison of self-hypnosis versus progressive muscle relaxation in patients with multiple sclerosis and chronic pain,” Int. J. Clin. Exp. Hypn., vol. 57, no. 2, pp. 198–221, 2009.
[23] N. Zech, E. Hansen, K. Bernardy, and W. Häuser, “Efficacy, acceptability and safety of guided imagery/hypnosis in fibromyalgia – A systematic review and meta-analysis of randomized controlled trials,” Eur. J. Pain (United Kingdom), vol. 21, no. 2, pp. 217–227, 2017.
[24] H. Jafarizadeh, M. Lotfi, F. Ajoudani, A. Kiani, and V. Alinejad, “Hypnosis for reduction of background pain and pain anxiety in men with burns: A blinded, randomised, placebo-controlled study,” Burns, pp. 1–10, 2017.
[25] H. F. Todd Jackson, Yalei Wang, Yang Wang, “Self-Efficacy and chronic pain outcomes – a meta-analytic review,” Pain Res. Manag., vol. 20, no. 2, pp. 75–83, 2015.
[26] J. Gueguen, C. Barry, C. Hassler, and B. Falissard, “Evaluation de l’efficacité de la pratique de l’hypnose,” p. 213, 2015.

« Un état de conscience impliquant un focus attentionnel conscient et une réduction de l’attention périphérique caractérisé par une augmentation de la capacité de réponse à la suggestion »

GI Douleur

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